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Notre Loge

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7 décembre 2017 4 07 /12 /décembre /2017 14:35

C’est parce que ce sujet nous concerne tous, de près ou de loin, au passé, au présent ou au futur, que je choisis de vous présenter ces personnes, que l’on appelle communément « les aidants ». Je construis ma planche en m’appuyant sur le travail réalisé par l’Association Française des Aidants. Je tisse des passerelles entre l’engagement maçonnique et l’engagement de l’aidante que je suis, pour conclure par une question ouverte à notre réflexion.

 

 

Dans une 1ère partie je vous propose quelques définitions et quelques chiffres :

En 2010, une étude officielle de la Direction de la recherche, des études, de  l’évaluation et des statistiques (DREES), évaluait le nombre d’aidants à 8,3 millions. Plusieurs études ont été menées depuis par des fondations ou des assureurs, elles évaluent  le nombre d’aidants à 11 millions en 2016. 76 % de ces aidants sont des femmes de plus de 60 ans. Ce chiffre est en constante augmentation du fait de l’allongement de l’espérance de vie, de l’amélioration des soins et du maintien à domicile. Pour autant, bien que conséquent, il est certainement très en dessous de la réalité. En effet, il ne tient pas compte, de tous ces jeunes, qui accompagnent un parent, un grand parent et qui sont également en situation d’aidants.

Cette solidarité mise en place par les personnes qui accompagnent au quotidien un proche de son entourage en situation de maladie ou de handicap, à tous les âges de la vie, n’est pas un phénomène nouveau, elle existe depuis la nuit des temps, elle n’avait pas de nom, elle existait tout simplement.

On nous propose aujourd’hui plusieurs définitions du terme « Aidant ». Définitions issues des sciences humaines, sociales, économiques. Toutes mettent en lumière le caractère régulier et non professionnel de l’aide.

L’aidant familial, est le terme le plus employé par les professionnels. En effet, 8 aidants sur 10 sont des membres de la famille. Il existe néanmoins une partie non négligeable, 1 aidant sur 5, qui sont des amis, des voisins.

La Confédération des Organisations Familiales de l’EU (COFACE) dans sa Charte défini l’aidant familial comme : « La personne non professionnelle qui vient en aide à titre principal, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne. Cette aide régulière peut être prodiguée de façon permanente ou non et peut prendre plusieurs formes, notamment nursing, soins, accompagnement à l’éducation et à la vie sociale, démarches administratives, vigilance permanente, activités domestiques.»

 

Mais on parle également :

D’aidant naturel, ce qui renvoit à l’obligation morale, alimentaire inscrite dans le Code Civil (articles 205 et 206).

D’aidant informel, qui est utilisé en opposition aux intervenants professionnels, du registre du soin, de l’aide et de l’accompagnement.

Du proche aidant, qui est un terme nouveau, employé pour la première fois dans le texte de loi de l’Adaptation de la Société au Vieillissement (ASV) de 28/12/2015. Il renvoie à la notion fondamentale de proximité dans laquelle vient se loger le lien et l’aide à l’autre.

 

Au-delà de ces définitions et des critères objectifs tels que l’origine et la nature de la situation d’aide, la fréquence et la durée de l’aide apportée, le lien de proximité avec la personne accompagnée, le linguiste Alain REY2 met en lumière, dans une interview réalisée par l’Association Française des Aidants, que le verbe « aider » en latin « adiutare » signifie « apporter de la joie ». Selon lui, l’explication la plus satisfaisante serait : « aller vers la joie pour se rapprocher d’une situation où les choses sont non seulement supportables, mais positives ».

Une définition qui nous reconnecte au sens premier du mot et qui dépasse la vision instrumentale dans laquelle on l’enferme parfois.

Alors, chacun est libre de s’approprier ou non ce mot « AIDANT », de l’apprécier ou non, de trouver qu’il fait écho ou non à son expérience personnelle, de souhaiter se présenter comme tel ou non. L’important est plutôt de savoir qu’il existe, ce qu’il signifie et ce qu’il permet. Il ne doit, en aucun cas, devenir une étiquette dans laquelle on nous enferme. En effet, il existe autant de façon de vivre l’expérience d’accompagner un proche, qu’il existe d’aidants.

 

S’il est facile pour certain de mettre une date à partir de laquelle il est devenu aidant, pour beaucoup, cela arrive insidieusement. Dans tous les cas, il est impossible de connaître la durée et les limites de cette aide.

2 indicateurs peuvent toutefois contribuer à réfléchir à ces limites :

  • La santé physique, psychique et sociale qui peut affecter la relation d’aide. En particulier quand l’aidant met de côté ses propres besoins.
  • La mise à mal de la relation initiale d’époux (se), d’enfants, de frère … d’ami etc

 

Selon Brigitte Hasler sociologue, formatrice pour l’Association Française des Aidants, je cite : « Quand la maladie ou le handicap s’immiscent dans la relation avec notre proche, on se retrouve dans une situation difficile, que l’on n’a pas choisie.

Chaque aidant tente alors de faire au mieux, avec ses propres ressources, en s’appuyant sur ses représentations de la situation, qui sont le fruit de ses expériences, d’exemples autour de soi, de ses valeurs, de ses connaissances, de sa culture.

Si l’aidant et l’aidé sont en dépendance l’un vis-à-vis de l’autre, c’est cette dépendance qui crée la richesse des liens humains. Pour autant, il convient d’être vigilent pour que ce lien ne se réduise pas à la seule contrainte de la situation. Il doit permettre à chacun de préserver son autonomie, c’est à dire la capacité de faire ses choix. »

Sur la route de la relation d’aide et de l’accompagnement, l’aidant, avec des familles de plus en plus souvent recomposée et/ou géographiquement éloignée, se retrouve souvent seul et démunis, devant faire face à une multitude de problèmes à résoudre, alors commence le parcours du combattant pour trouver les réponses à de nombreuses questions : Où trouver de l’aide pour mieux comprendre et appréhender l’évolution de la maladie ? Comment financer telle ou telle dépense nécessaire à l’aménagement du lieu de vie ? Mais aussi, comment communiquer avec son ou ses proches, avec les professionnels ?

 

Pour faciliter le dialogue entre les aidants et leur proche, entre les aidants et les professionnels, chacun doit apprendre à reconnaitre l’autre. Se pose alors, la question essentielle de la reconnaissance qui n’est pas seulement un but, en soi, mais aussi un chemin. La reconnaissance du rôle et de la place des aidants dans la société ne passe donc pas uniquement par les textes de loi.

Dans son dernier livre  « Parcours de la reconnaissance », le philosophe Paul RICOEUR3 remarque, qu'on ne désire pas une reconnaissance vide mais la reconnaissance de nos aptitudes, de notre utilité, de notre spécificité.

Selon Alain REY, ce mot « reconnaissance » réunit plusieurs notions.

Une intellectuelle et une affective et morale. « Reconnaître » dit-il, c’est connaître avec un préfixe qui lui donne plus de force, qui fait référence à la mémoire. On a connu quelqu’un, on n’a cessé de le connaître, on le reconnaît une deuxième fois. Reconnaître quelqu’un c’est donc à la fois le distinguer parmi les autres, c’est à la fois être capable de lui assigner son rôle et respecter ce rôle parmi tous les rôles sociaux, mais c’est aussi manifester de la gratitude.

 

Selon l’Association Française des Aidants, il n’existe pas de définition univoque ou de mode d’emploi de la reconnaissance. Néanmoins, se reconnaître en tant qu’aidant peut être une invitation à :

  • Avoir conscience de la contribution à l’humanité que l’on apporte, et la valeur de cette contribution.
  • Prendre la mesure de ce que cette expérience implique pour soi, dans la relation au proche accompagné, dans sa santé, dans son quotidien, dans la vie en général. Car cette expérience est tout sauf anodine.
  • Réaliser que les droits, les dispositifs et les actions qui concernent les aidants peuvent s’adresser à soi et que, lorsqu’ils font sens pour nous et qu’ils nous sont accessibles, il nous est possible de les solliciter.
  • Signifier enfin aux autres que l’on est en situation d’aidant, car il n’est pas facile pour le proche accompagné, pour l’entourage, pour les professionnels de l’aide et du soin, pour les collègues de travail de prendre la mesure de ce que cela représente. En effet, qui peut savoir à ma place la manière dont je vis au quotidien, les difficultés et les richesses que je rencontre dans ce quotidien.

Alors, se reconnaître, être reconnu, se sentir reconnu dans un quotidien d’aidant, ce n’est pas rien ! C’est peut-être même une condition essentielle pour cheminer avec la personne que l’on accompagne, avec son entourage, avec les professionnels dans une situation équilibrée où chacun trouve sa juste place et son juste rôle. 

 

 

Quand on s’occupe d’une personne dépendante, on prend rapidement conscience que c’est toute l’organisation de sa propre vie qui sera modifiée. L’investissement personnel, souvent permanent peut, être de longue durée. Des études indiquent que les aidants aident en moyenne 60 heures par semaine sur une durée de 6 à 7 ans. C’est dire l’importance de leur rôle !

Dans un couple, aider l’autre semble normal. L’aidant n’a pas idée de demander du soutien. Or, plus les aidants consacrent de temps à la personne aidée, moins ils ont de temps pour eux-mêmes et ce manque de disponibilité les conduit souvent à abandonner ou à reporter leurs activités, à rompre avec leur environnement social et familial, voire professionnel. Si l’aidant n’y prend pas garde, il s’épuise, il s’isole, ce qui peut avoir des conséquences sur la qualité de l’aide apportée. Celle-ci se dégrade parfois jusqu’à devenir maltraitance.

Bien qu’il existe de nombreuses structures comme des associations, des CCAS, des caisses de retraite ou des hôpitaux qui organisent des rencontres, des groupes de paroles, des Cafés des Aidants®, il semble que 3 années soient nécessaires, en moyenne, pour parvenir à trouver les réponses, et les dispositifs locaux adaptés à chaque situation. Solution d’aide en direction de l’aidant, ou en direction de la personne aidée.

Je choisis de vous présenter plus précisément l'Association Française des Aidants qui depuis sa création en 2003, écoute et porte la parole des proches aidants. Elle a pour grands principes d’accompagner tous les aidants sans distinction liée à l’âge et à la pathologie de la personne accompagnée. De promouvoir une vision du rôle et de la place de l’aidant dans sa double dimension : le lien à la personne aidée et le lien à la société. Elle contribue à faire émerger la dimension sociétale de la thématique des aidants, au-delà de la dimension privée.

Cette Association se mobilise, entre autre, pour que les proches aidants restent en santé. En effet, de nombreux aidants en témoignent, accompagner au quotidien un proche peut avoir un impact sur sa santé, qu'il s'agisse de douleurs physiques, de stress, d'anxiété, de difficultés du sommeil.

Selon certaines études plus de 30 % des aidants décèderaient avant la personne aidée.

Cette année lors de la 8ème édition de la journée nationale des aidants du 06/10, la ministre de la Santé et des Solidarités Agnès Buzyn a appelé à "réveiller les consciences" sur le quotidien des aidants familiaux. "Sans les aidants, dit-elle, beaucoup de personnes âgées, handicapées, malades seraient dans des conditions de vie et dans des lieux de vie qui n'ont rien à voir avec ceux qu'ils ont actuellement".  Mme Buzyn a évoqué ces trois axes de travail : la formation des professionnels de santé, la reconnaissance des aidants dans la société, et leur prise en charge institutionnelle.

Avant de poursuivre sur la dimension sociétale, je vous propose, en transition, de découvrir les passerelles que je tisse, à partir de mon expérience personnelle, entre l’engagement maçonnique et l’engagement de l’aidante que je suis.

 

Ce sera ma 2ème partie :

Ce sont les phrases « Apprendre sur soi, apprendre de l’autre dans sa différence » et « Si tu diffères de moi …, loin de me léser, tu m’enrichis » qui trouvent le plus bel écho et évoquent l’essentiel de ces passerelles.

J’ai, en effet, la certitude que seul le travail sur soi permet de préserver une relation bienveillante et aimante, de maintenir cet équilibre si important pour poursuivre l’engagement. Prendre conscience de la force et de l’énergie que donne cette expérience permet de continuer à gérer la relation qui se transforme.

 

Si devenir Franc-Maçonne à Lumières et Laïcité a découlé d’un choix personnel mûrement réfléchi, devenir aidante n’a pas vraiment été un choix. Cela s’est imposé à moi, comme une évidence. Je suis devenue aidante parce que j’ai été confrontée à une situation contrainte par la maladie, le handicap et le grand âge cumulés, parce qu’il m’a été possible d’accueillir ma maman pour lui permettre de vivre dignement.

 

Dans un premier temps, j’ai agi sans penser aux conséquences que ma décision allait avoir sur ma vie, mais, j’ai très rapidement pris la mesure de mon engagement. Ma fille, ma mère et moi avons appris à partager notre quotidien sous le même toit, avec le passage régulier de l’ensemble des professionnels indispensables au maintien à domicile de maman.  

Il m’a fallu gérer l’ensemble de l’organisation et ma fille et moi nous nous sommes unies autour de mon engagement. Depuis 5 ans, j’ai la prétention d’affirmer que chacune a développé un supplément d’âme, qui nous permet d’évoluer en harmonie et faire face aux épreuves qui loin de nous séparer contribuent à renforcer nos liens de solidarité.

Pour ma part, j’ai modifié considérablement mon rythme. J’ai supprimé tout ce qui n’était pas essentiel. Suite à ma perte d’emploi, il m’a fallu apprendre à déconstruire mes représentations de la reconnaissance sociale.

Toutes les difficultés matérielles, physiques et émotionnelles que je traverse, m’apprennent à dire, m’apprennent à ajuster ma façon d’agir, m’apprennent à définir mes limites. C’est en constatant que la présence d’une personne supplémentaire aux côtés de maman avait des effets positifs sur son comportement, que j’ai accepté de déléguer d’avantage ce qui m’a permis de prendre du temps pour moi, pour me ressourcer, me reposer et concrétiser un vieux rêve enfoui, entrer en Franc-Maçonnerie.

 

Ce nouvel engagement m’a permis de rompre définitivement avec l’isolement dans lequel je m’étais insidieusement laissée glisser. Si l’accompagnement de maman contribue à me transformer, ce n’est qu’en construisant cette planche que ma réflexion s’est enrichie de la dimension sociétale de mon rôle.

Nous « aidants » de tous âges et de toutes catégories sociaux-professionnelles amenés à nous interroger, à nous confronter et à nous adapter pour concilier nos vies personnelle, sociale, familiale, professionnelle, et nôtre rôle d’aidant, apportons une contribution majeure à notre société et à notre humanité. Notre travail, encore si peu reconnu, représente plusieurs milliards d’euros par an. Cette facture serait lourde pour les pouvoirs publics si nous réclamions une rémunération pour notre travail quotidien. Alors vous en conviendrez, à lui seul, ce montant témoigne de la place centrale que nous occupons dans la société.

Une prise de conscience collective, tant au niveau local, qu’au niveau national est indispensable pour faire bouger les choses et réveiller les consciences. Les aidants, piliers du maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie, ne peuvent se satisfaire, de la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement qui se contente d’introduire « le droit au répit » (aide maximale de 500€ / an permettant de financer un hébergement temporaire de la personne aidée).

 

Selon Florence Leduc la Présidente de l’Asso Française des Aidants  « Nous sommes face à un arbitrage entre solidarité familiale et solidarité nationale. C’est une vraie question sociétale et politique.» dit-elle.

 

Alors, j’en arrive à ma conclusion, où je me questionne et où je vous questionne, puisque tout le monde est concerné et / ou sera confronté, un jour, à cette situation.

Comment une planche peut-elle contribuer à sensibiliser le plus grand nombre pour qu’un jour le Grand Orient De France, s’empare de la thématique des aidants et l’inscrive en question à l’étude des loges ?

 

Je terminerai par une citation de Bertha von Suttner qui dit : «  Après le verbe « Aimer »,  « aider » est le plus beau verbe du monde.

 

 


 

 

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22 juin 2017 4 22 /06 /juin /2017 11:36

J'ai choisi de réfléchir avec vous sur ce sujet tant il me semble au cœur de la crise de la société française.

J'aborderai en premier point l'identité sous les aspects, individuel, collectif et national, puis le concept de citoyenneté, dans la perspective d'un vivre ensemble apaisé et préserver le bien commun au-delà de nos différences?

 

Évoquer l’identité semble aujourd’hui relever d’un discours parfaitement banal, tant la

notion est d’un emploi courant, particulièrement dans une société en mal de repères. La cerner s’avère être une entreprise malaisée. Toutes les disciplines se sont emparées de l'identité, philosophes, sociologues, psychanalystes, historiens, géographes. Aussi parle t-on d'identité personnelle, sociale, religieuse, territoriale, nationale....

 

Définitions: «Identité : caractère de ce qui demeure identique à soi-même" (Petit Robert)

On dit aussi qu' "identité" recouvre cinq sens ou nuances de sens: la similitude, l’unité, l’identité personnelle, l’identité culturelle et la propension à l’identification.

L'identité c'est aussi: "l'ensemble des traits ou caractéristiques qui, au regard de l'état civil, permettent de reconnaître une personne et d'établir son individualité au regard de la loi" – tel le document qu'est la carte d'identité.

 

A ce propos, petit rappel historique:

 

Jusqu’au Second Empire, les déplacements individuels hors du canton sont étroitement surveillés, notamment grâce au passeport interne et au livret d'ouvrier, qui permettent à la police de suivre les voyageurs et les migrants (déjà). Les républicains contestent ces pratiques. En 1912, l’État français impose aux nomades le port d'un carnet anthropométrique extrêmement détaillé (hauteur de la taille, du buste, la longueur et la largeur de la tête, la longueur de l’oreille droite, des doigts médius et auriculaires gauches, celle de la coudée gauche, celle du pied gauche, la couleur des yeux : empreintes digitales, deux photographies (profil et face) du porteur du carnet". Ce dispositif s'applique aussi aux enfants de plus de 13 ans. Pour les plus jeunes, leurs empreintes digitales figurent sur le carnet collectif au nom du chef de famille.

En 1917, un décret instaure une carte d'identité obligatoire pour les étrangers afin de lutter contre la délinquance d'origine étrangère et notamment italienne.

Le projet de carte d'identité obligatoire pour tous, se heurte à la résistance des élites intellectuelles et des syndicats. De provisoire et limitée aux franges nomades de la population, la carte d'identité dite "carte d’identité de Français" devient en 1921 permanente et généralisée mais facultative. Dans la vague des mesures de contrôle de la population, elle deviendra obligatoire sous Vichy, la mention « Juif » est apposée, le cas échéant dès 1942.

Le décret du 22 octobre 1953, institue une carte nationale certifiant l'identité de son titulaire d'une durée de validité de dix ans. Elle était à l'époque considérée comme un moyen de contrôle des Français d'Algérie. Modifiée en 1987, à la suite d'une résolution du Conseil de l'Europe visant à harmoniser les cartes nationales d'identité entre les États membres, elle a évolué vers un document dit "infalsifiable" en 1987 puis biométrique en 2017.

 

Que dire de l'identité individuelle ?

La carte d'identité ne dit pas qui je suis. Elle n'est qu'une somme d'informations factuelles (nom, prénom, taille, couleur des yeux ...).

Qu’est ce qui fait mon identité ? Comment savoir qui je suis, comment suis-je perçu, définie par l'autre, les autres, qui peut avoir une idée exacte de ce qui constitue mon identité?

 

L'identité dans tous ses états - En fait, l'identité est immatérielle, elle ne peut être quantifiée. Elle se modèle indéfiniment en fonction de nos expériences, de nos rencontres. L’identité est un concept qui ne s’applique pas qu'aux humains, il s’applique à l’ensemble de ce qui est.


L’être n’est identique qu’à lui-même. Il s’approprie une personnalité qui se construit peu à peu. Au cours des différentes étapes de la vie, l’individu découvre et se découvre, il agrandit le cercle de son appartenance. Dans le face à face avec l’autre, le "je", s’adresse au "tu", se mesure, se compare à lui.

Nous verrons plus loin quand le "je" entre dans le cercle du "nous" collectif (la famille, les élèves de la classe, l'association sportive, la nation.).

Pour les philosophes, l’identité est d’abord un concept métaphysique, qui renvoie au réel lui-même, et qui concerne tout ce qui existe. Les philosophes présocratiques, (Héraclite et Parménide – 5 et 6eme s. av. J.-C.), faisaient déjà de l’identité un concept central de leurs réflexions.
Au Moyen Âge, le terme d’identité permet d’exprimer la conformité au groupe.
Plus récemment, les empiristes des 17 et 18e siècle. ont usé de ce terme pour poser le problème de l’identité personnelle. John Locke, en particulier, s’est heurté à la question de l’unité de l’identité personnelle dans le temps, qu’il résolut en postulant "qu’une personne est une conscience de soi incarnée, capable de garder à l’esprit les phases successives de son existence".
Au 19e siècle, Hegel déplace la question de l’identité dans le champ des rapports sociaux - "L’identité résulte de la reconnaissance réciproque du moi et de l’autre, elle naît d’un processus conflictuel où se construisent des interactions individuelles, des pratiques sociales objectives et subjectives".

La question de l’identité s’enrichit au 20e siècle. grâce à son développement dans les divers champs de la connaissance. La psychologie s’empare du concept et met avant tout l’accent sur l’individu. E.Erikson conçoit l'identité comme le "sentiment subjectif et tonique d'une unité personnelle et d'une continuité temporelle".

Pour S. Freud, les identités se construisent dans le conflit : entre l’identité pour soi et l’identité pour autrui, d’une part ; entre les différentes instances de l’individu que sont le Ça, le Moi et le Surmoi, d’autre part.

Jean Piaget insiste sur la "notion de socialisation de l'individu à travers une intériorisation des représentations sociales, principalement par le langage".

Au sein de l’anthropologie française du début du 20e siècle, les analyses se concentrent d’abord sur le concept de personne. La notion invite à s’interroger sur les systèmes de pensée qui confèrent à l’être humain une identité, ainsi que sur le statut de la personne.

 

Identité sociale – le passage du "j" au "nous".

 

En sociologie, la notion d'identité renferme la problématique du rapport entre le collectif et l'individuel, le déterminisme social et la singularité individuelle, la perméabilité de l'identité individuelle à la pression collective, développant, notamment, la notion de rôle social.

Pour Pierre Bourdieu "l'individu a l'impression de faire acte de création, de liberté et d'imprévisibilité, alors que ses actes sont socialement liés aux conditions de constitution de son environnement".

L'identité sociale comprend les attributs catégoriels et statutaires qui se réfèrent à des catégories sociales où se rangent les individus. C'est souvent une identité "prescrite ou assignée", dans la mesure ou l'individu n'en fixe pas, ou pas totalement, les caractéristiques.

Cette catégorisation peut être d’ordre professionnel, sexuel, ou encore générationnel, elle peut renvoyer à des logiques de localisation voire d'assignation - les banlieues, le continent noir) ou environnementales (les montagnards, les insulaires..etc.).

L’identité doit observer le respect de l’autre, l’altérité et surtout la coexistence. Dans le cas contraire, l’image de l’autre est ternie par les préjugés ou soumise à des stratégies – dites identitaires – d'affirmation vis-à-vis d'autres acteurs sociaux. Cette forme d'affirmation génère alors des guerres et des conflits.

A ce sujet Amin Maalouf se méfie de l’identité et la compare à "une panthère qu’il faut dompter". (Les identités meurtrières- 1999).

Les identités sociales, sont le produit d’interactions complexes, précaires et instables.

 

Que dire de l'identité nationale?

Au sens où on l'emploie habituellement, l'identité nationale peut être sommairement définie comme la somme des particularités communes, qui fondent la cohésion et la solidarité des personnes regroupées, en un ensemble considéré, et constitue une Nation. À cet égard, l'expression s'apparente à d'autres plus anciennes, telles "tempérament national", "caractère national", "sentiment national", "individualité nationale" ou "conscience nationale", avec lesquelles elle est aujourd'hui parfois indistinctement utilisée.

 

Concernant les nations, il existe entre leurs membres un certain nombre de points communs directement observables -la langue, la présence sur un même territoire, la soumission à une même autorité, sous la forme d'un appareil d'État, qui leur reconnait la citoyenneté, ou encore la nationalité politique-. Cette conception assimilant la nation aux ressortissants d'un État est consacrée par le droit public et confirmé par le droit international.

Mais c'est aussi un état d'esprit commun, révélant leur solidarité et leur adhésion à des valeurs collectives spécifiques.

Voltaire évoquant divers peuples de la terre dans son Essai sur "Les mœurs et l'esprit des nations" (1756), les distinguait notamment par leurs "mœurs", leurs "caractères" et leur "génie" respectifs.

Délimiter les contours d'une nation en prêtant à ses membres une "formation psychique originale" selon la formule de Staline, un "vouloir vivre collectif" selon la pensée de Renan, ou l'intuition d'une "identité nationale" selon les termes d'aujourd'hui, implique l'interprétation de comportements souvent peu explicites, voire de quelque chose d'insaisissable.

Qui du civisme, du patriotisme, du chauvinisme, du nationalisme, expriment le mieux l'expression de l'identité nationale?

 

En France, le thème de l’identité nationale qui naît à la fin des années 1970 est un thème de gauche. Il intègre alors les cultures minoritaires, et est fondé sur l’anti-américanisme. Dans les années 1980, il est repris par Jack Lang comme grand thème de sa politique pour justifier "l’exception culturelle". L’identité française est alors culturellement définie par les gouvernants socialistes par sa diversité. Puis, à partir de la seconde moitié des années 1980 le thème est repris par la droite. En 2009, est créé un "Ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire" (E. Besson).

 

L'identité nationale est-elle un bien commun à préserver ? Des visions contradictoires d'affrontent:

 

- La cohérence culturelle et sociale façonnée progressivement dans le cadre d'un État, peut atteindre à un moment donné un stade jugé si parfait, que l'identité nationale qui est présumée en découler, est considérée comme une valeur à préserver à tout jamais, une sorte de patrimoine. La perdre est considéré comme une régression regrettable et dangereuse.

- Ou, on ne peut empêcher le processus de transformation qui a de tout temps opéré au sein de la société. Ce que certains considèrent comme "l'Identité nationale française" est le fruit de nombreuses transformations et de mutations, oubliant que tout groupe est en permanente reconstruction.

 

En témoigne, en 2013 la parution de l'ouvrage "L'identité malheureuse" dans lequel Alain Finkielkraut exprimait sa nostalgie du passé en dénonçant la désagrégation de l'identité nationale française. Ou les manifestations se réclamant du droit de résistance à l'oppression, destinées à faire pression sur l'ensemble des acteurs du système social, notamment les autorités publiques, pour le maintien, ou le rétablissement des valeurs du passé (ex: la Manif pour tous).

Plus récemment A. Juppé défendait une "identité heureuse" – "Je refuse d’avoir l’identité malheureuse, frileuse, anxieuse, presque névrotique. Pour moi, identité ne rime pas avec exclusion ni refus de l’autre. Je veux faire rimer identité avec diversité et unité : respect de notre diversité, affirmation de notre unité".

N. Sarkozy répondant, "Il n’y a pas d’identité heureuse tant qu’on ne réaffirme pas que l’identité de la France est toujours plus importante que les identités particulières. Il n’y a pas d’identité heureuse lorsqu'on accepte des accommodements raisonnables par souci prétendu d’apaisement".

 

Dans ce débat, les politiques publiques peuvent-elles assurer la stabilité de ce modèle en prévenant ou accompagnant les changements susceptibles de le bouleverser -limitation de l'immigration, politique d'intégration voire d'assimilation?

On se souvient du débat lancé en 2009 sur l'identité nationale, fortement médiatisé, mais demeuré sans suite.

 

La tradition qui fonde l'identité collective est une arme à double tranchant, elle peut enfermer les individus et justifier des revendications séparatistes voire indépendantistes (basques, corses, flamands, catalans..). Que sont les différents conflits nationaux et religieux sinon la conséquence sanglante de la contradiction entre des mémoires différentes?

La volonté d'ancrage dans une identité nationale définitivement figée à un certain stade de son évolution ne peut aboutir que si le corps social dans son ensemble l'entérine.

 

Si je me définis essentiellement à partir de la représentation de l'histoire de mon peuple, dont j'ai hérité, et si cette histoire (donc mon identité) m'apparaît comme incompatible avec celle de mon voisin, alors je ne pourrai jamais vivre en paix avec lui. Or nous ne pouvons nous définir uniquement par ce que la tradition a fait de nous, c'est à dire par notre passé. Ce que je suis ce n'est pas seulement d'où je viens, mais c'est aussi où je suis, vers où je vais et avec qui.

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22 juin 2017 4 22 /06 /juin /2017 11:19

Parlons maintenant de citoyenneté -

 

C'est dans les cités de l'Antiquité grecque puis romaine qu'émerge l'idée de participation "à la chose publique". Cette participation est réservée à une élite masculine, les esclaves et les femmes en sont exclus. La femme est appelée "citadine – "asté", parfois "citoyenne", parce qu'elle joue un rôle dans la transmission de la citoyenneté.

 

Très tôt l'idée de citoyenneté est associée à celle d'instruction – Platon décrivant la cité idéale dans "La République" puis "Les lois"-, donne à l'éducation une signification particulière en tant que fondement du "corps politique", considéré par lui comme l'ensemble tout entier des habitants de la cité. Plus tard J. Condorcet dans "L'esprit des lumières", privilégie aussi l'instruction. En naissant nous arrivons dans un monde déjà là, avec ses valeurs et ses principes qui nous sont en quelque sorte antérieurs, et le fait que nous avons à participer à l'invention continuelle de ce monde, nous demande de devenir une personne autonome.

 

Les révolutions anglaises et françaises des 17 et 18e siècles. légitiment le concept de citoyen et signent l'acte de naissance de la citoyenneté contemporaine. La Déclaration de l'Homme et du Citoyen de 1789 relie les droits juridiques et politiques de la personne, sauf que le suffrage universel tel qu'il est proposé, l'ampute de sa moitié féminine jusqu'en 1944.

A noter qu'elle s'adresse à l'Homme et au citoyen, signant que l'Homme n'est pas réductible au seul état de citoyen.

En effet pour JJ. Rousseau, le droit naturel est bon pour l'homme, le droit politique pour le citoyen. Le citoyen à travers le droit politique s'engage dans un projet visant à améliorer la société. Participer à un vrai contrat social provoque pour Rousseau un changement de perspective qui distingue l'homme du citoyen.

 

En quoi la citoyenneté est la manifestation d’une identité commune ?

 

La citoyenneté manifeste le rattachement à une même communauté politique, la Nation. Les citoyens ont tous la même nationalité et forts de leurs différences, tous les êtres humains sont égaux entre eux.

En tant que relation aux autres, la citoyenneté crée dans les sociétés démocratiques le lien social et politique entre les individus. Elle offre la possibilité d’une participation politique à tout un chacun, en faisant de lui un membre décisionnel de la communauté politique par le droit de vote. Le droit de vote n’est pas indispensable pour être citoyen, mais éminemment constitutif de la citoyenneté démocratique en tant que telle.

La citoyenneté garantit les libertés individuelles (liberté d’expression), assure une protection sociale (sécurité sociale). Elle définit aussi un certain nombre de devoirs envers la communauté des citoyens tout entière - le respect des lois, l’acquittement des impôts. Le citoyen peut à tout moment revendiquer ses droits, mais il peut tout aussi bien en être déchu pour conduite illégale.

Sur le plan symbolique, la citoyenneté procure un sentiment d'appartenance à une même communauté nationale, elle est la manifestation d'une identité culturelle et d'une histoire commune.

 

Le lien social entre les membres d’une même communauté nationale se traduit aussi par une participation pratique, dans les domaines de la famille, de la cité. Assumer son rôle de père ou de mère de famille, d’élève, de bénévole, de travailleur ou de quelque profession qu’il soit, est autant l’expression d’une relation citoyenne que l’engagement politique à différents niveaux - comité de voisinage, parti politique, association caritative, ....ou l’adhésion à une association, quelle soit culturelle, sportive.

 

La citoyenneté semble aujourd'hui davantage se définir par un mode de comportement civique et une participation active et quotidienne à la vie de la société, que par un statut juridique lié à la nationalité. Il ne paraît pas suffisant que les citoyens disposent de droits, ils semblent aussi nécessaires qu'ils les exercent.

 

Il faut souligner que les fortes connotations symboliques de la citoyenneté telles que les notions de responsabilité, d'indépendance de jugement, de liberté d'expression, tendent à faire de l'identité citoyenne une notion abstraite qui masque les inégalités concrètes de statut social.

De plus l'idée que nous partageons tous l’héritage des moments essentiels qui ont marqué l'histoire de la France est utopique dans la mesure où l'accès à cette culture est profondément inégalitaire. Pourtant la connaissance qu'apporte la culture peut-être un antidote contre le populisme.

 

La tâche est complexe et immense dans une société soumise à des transformations économiques, culturelles et sociales rapides et où tant de personnes restent sur le bord du chemin. Il est plus difficile de dépasser les appartenances héritées et concrètement vécues, au bénéfice de notions plus abstraites telle que la citoyenneté.

 

Des questions se posent:

Les politiques publiques ont-elles failli, peuvent-elles encore contribuer à "réparer" notre société déchirée?

La demande d'éducation civique concerne t-elle la formation de citoyens, aptes à prendre part au débat public, à réfléchir sur l'exercice des pouvoirs politiques et citoyens, leur exercice et légitimité ou est-elle une demande de normalisation des comportements, de socialisation et de moralisation?

L'école peut-elle contribuer à réparer les insuffisances de la société?

 

Le concept de citoyenneté n’est pas un concept stable parce que la vie même suscite dans la société civile des désaccords et nous invite à le réexaminer.

De plus de nouvelles citoyennetés ont émergées (européenne), et se superposent, bi-nationales et européenne sans compter tous ceux qui se sentent citoyen du monde.

 

On ne nait pas citoyen, on le devient. La citoyenneté est une construction permanente, elle est un élément important d'intégration, car elle définit l'être humain pour ce qu'il est et non pas par ses origines – ethniques, raciales ou religieuses – invariants structurels prédestinant le devenir de chacun.

 

Conclusion

 

Au travers de l'élection présidentielle que nous venons de traverser nous nous demandons ce qui nous unit, tellement les aspirations sont divergentes et contradictoires et le tissu supposé rassembler ses citoyens délité. Le rêve d’indivisibilité nationale semble brisé et le sens du collectif en deuil. Comment réparer la désunion provoquée par l’effondrement de la représentation de ce qui constitue notre conscience commune, avec, au centre, le trouble identitaire.

La fragilité intrinsèque de la démocratie demande un effort continu de refondation qui se fonde sur la volonté des femmes et des hommes de vivre ensemble et donc un travail incessant de tous.

Au moment de la première polémique sur le voile en 1989, Régis Debray parlait déjà d'une fracture entre une vision "démocrate", qui insiste sur la diversité, et une vision "plus républicaine", qui insiste sur la citoyenneté.

Pour le philosophe Jean-Claude Bourdin, la démocratie en France est pensée selon l’idée régulatrice de l’universalisme républicain dont la laïcité serait l'aspect pratique. C’est donc par rapport à cet universalisme républicain laïque que les identités peuvent faire difficulté, mais cet universalisme est légalement limité, selon lui : "la démocratie [telle que la nôtre], devrait être accueillante à l’égard des identités".

La laïcité ne prétend pas résoudre toutes les questions - économiques, d’intégration, de sécurité, d'éducation, de logement et de santé qui participent de la fracture sociale. Elle donne corps au principe de citoyenneté. La République ne reconnaît aucun culte, aucune communauté, mais des citoyennes et des citoyens qui tous participent de la Nation et dont l’identité n’est réduite ni à une couleur de peau, ni à une religion, ni à une idéologie mais comporte une éthique commune : la dignité de chacun, le respect mutuel, la liberté et l’égalité des droits et devoirs pour tous.

En ce sens, la laïcité participe à la lutte contre tous les racismes, toutes les formes de ségrégations économiques, sociales ou culturelles. Elle est au cœur d’une indispensable volonté de donner plus de sens aux notions de fraternité et de solidarité. Elle permet en s’appuyant sur la raison, l’émancipation de l’individu, y compris par rapport à sa communauté d’origine de fonder un art du vivre-ensemble.

La doxa tocquevilienne aurait dû nous préparer à comprendre que l’individu démocratique, tout à sa passion de l’égalité, fait passer celle-ci par toutes les formes d’affirmation de soi.

 

Dans ce questionnement qu'apporte la F.M.?

 

La F.M. s'adresse à l'Homme et à la femme, elle permet d'interroger son identité personnelle, de la renforcer, voire de la recomposer.

La F.M.est un des creusets de formation du citoyen, d'apprentissage de la citoyenneté? Le milieu maçonnique se superpose sur le plan symbolique à celui de la citoyenneté quant aux notions d'appartenance, d'histoire commune.

 

Un F.M. est-il un meilleur citoyen ? En tout cas, la méthode maçonnique est sans conteste une méthode qui permet à l’initié de découvrir les valeurs universelles, de les confronter à l’autre, de les faire vivre hors du temple. Ces valeurs sont celles qui le relient à l’autre dans une relation de respect, d’écoute, de tolérance. Il apprend à accueillir la différence sous toutes ses formes.

Le respect de la Règle lui apprend obligations et devoirs, non dans la soumission mais dans la compréhension et l’acceptation des règles nécessaires à la cohésion de l’humanité, inscrite dans l’équilibre du Monde.

Nous avons dit compréhension et non soumission, ce qui fait du FM un "être-citoyen" éveillé, critique, vigilant.

La FM se partage avec les autres, elle tisse non pas une histoire commune, mais un chemin commun, empreint de l’histoire collective qu’est la FM, mais unique pour chacun. Le milieu maçonnique ne se superpose pas à celui de la citoyenneté sur le plan symbolique, mais le nourrit, l’enrichit.

Le FM est en principe un citoyen qui connaît et pratique les devoirs positifs, conscient de l’importance du bien collectif. Il apprend à porter au dehors ce sur quoi il est invité sans relâche à travailler dans le temple.

 

Nous ne pouvons reculer ou refuser le monde qui change. On ne défend pas son identité en se réfugiant dans le passé. Nous ne pouvons nier les craintes que peut susciter le changement dont une part irréductible relève de l’inconnu. Le changement est de tous les temps. Ces craintes nous traversent tous, à des degrés divers et selon des modalités qui renvoient à nos trajectoires individuelles, familiales, sociales ou culturelles. Mais ce qui distingue celui qui fait progresser la société de celui qui la leste de ses refus et de ses peurs, c’est le rapport à l’Autre et le degré d’optimisme, c'est l'envie de construire des ponts et non des murs.

 

Amin Maalouf (1999) "Il faudrait faire en sorte que personne ne se sente exclu de la civilisation commune qui est en train de naître, que chacun puisse y retrouver sa langue identitaire, et certains symboles de sa culture propre, que chacun, là encore, puisse s'identifier, ne serait-ce qu'un peu, à ce qu'il voit émerger dans le monde qui l'entoure, au lieu de chercher refuge dans un passé idéalisé. Parallèlement, chacun devrait pouvoir inclure dans ce qu'il estime être son identité, une composante nouvelle, appelée à prendre de plus en plus d'importance au cours du nouveau siècle, du nouveau millénaire : le sentiment d'appartenir aussi à l'aventure humaine"

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12 février 2017 7 12 /02 /février /2017 18:36

La formule, libre et de bonnes mœurs, m’intriguait. Elle semble surannée et est pourtant, ici, d’actualité : le dossier d’admission requiert un extrait de casier judiciaire, et la formule elle-même apparaît de manière récurrente dans le cahier du rituel du grade d’apprenti sous forme pleine ou tronquée : on y trouve 18 fois l’adjectif libre et 26 fois le terme liberté, le vocable mœurs y trouve 4 occurrences, le mot morale et ses dérivés (adj., adv.) 32, la vertu et l’adjectif vertueux 11. L’insistance avec laquelle on a recourt à cette formule m’a donc conduite à me demander si elle ne pourrait pas définir le parcours du maçon : préalable à son initiation, elle pourrait suggérer sa quête à venir en loge, quête qui enrichirait idéalement en retour la qualité de sa présence dans le monde profane. Ce serait un peu comme si cette formule dénommait la graine qui devrait fructifier ici pour, comme le rituel de clôture l’indique, s’épanouir ensuite à l’extérieur. A mes yeux cette formule serait donc la formule-clé de l’initiation, entendue comme processus continu de travail sur soi permettant de retourner silencieusement au monde profane, un peu « plus libre et vertueux », de plus en plus exemplaire en somme.

 

 

Pour étayer cette hypothèse, je commencerai par un petit éclaircissement historique, avant d’interroger le sens que cette formule pourrait avoir dans le rituel. Je me demanderai, enfin, en me référant au chiffre 3 et au triangle, s’il n’existerait pas un troisième terme, dissimulé derrière la binarité manifeste de cette expression.

Dans cette analyse le rituel d’initiation a été un peu mon guide et, puisque l’on déambule pas mal en tenue et, qu’ici, tout est symbole je ne vous épargnerai pas mon cheminement.

 

Cette formule varie en fonction des époques. On retiendra trois choses.

Dans la formule d’origine on lit que le profane, appelé à l’initiation, est « né libre et de bonnes mœurs ». (On trouve aussi l’expression « né de condition libre »). Ces formulations deviennent caduques au milieu du XIXe siècle, lorsque l’on promeut l’égalité des hommes en droit et abolit l’esclavage en Europe.

 

Vu notre nom et la proximité sémantique de l’adjectif franc avec celui de libre, j’ai voulu rapidement rechercher les premières occurrences du terme franc-maçon qui remontent à 1356. Ce terme renvoie alors aux anciennes loges de tailleurs de pierre comme la « Compagnie des francs-maçons » ou la « Vénérable Société des francs-maçons de la ville de Londres » qui finira par y contrôler cette guilde. Les apprentis de ces loges veulent devenir des « hommes libres du métier » et y prêtent serment de fidélité à la couronne et à leur profession. Le vocable « franc-maçon » désigne alors un ouvrier-maçon : expérimenté, libre parce que maître de sa technique et ayant, de ce fait, le privilège de travailler la pierre friable, ou encore un artisan ayant une franchise, soit de nouveau une expertise, dont il fait bénéficier ses apprentis.

 

 

L’utilisation du terme FM, pour définir notre ordre, relève d’un transfert culturel qui s’opère en deux temps entre 1599 et 1711 : les confréries de compagnons en Angleterre et en Ecosse voient évoluer la nature de leurs commandes : de bâtisseurs des édifices religieux qu’ils étaient, ils deviennent constructeurs de palais, de châteaux. On observe donc un passage du sacré au profane qui modifie l’esprit des chantiers : les maçons commencent à s’y affranchir du théologique. Peu à peu, de riches clients commencent à leur procurer travail et subsides et on assiste, au bénéfice de ces échanges marchands, à une hybridation des compétences : les loges opératives s’ouvrent à ces personnes étrangères à leur profession. Ce sont des intellectuels, des philosophes, « maçons dits acceptés » qui s’intéressent dans un souci d’émancipation intellectuelle, aux instruments de travail des vrais maçons pour en faire des symboles. Les loges opératives deviennent ainsi aussi spéculatives.

 

Une deuxième acception du terme libre, peut finalement et alors faire sens. Elle s’enracine dans le latin liber, le livre. Est déclaré libre celui qui accepte de se soumettre à un enseignement pour s’ouvrir à ce qu’il ne connaît pas. Cette acception est encore présente dans nos textes où il est spécifié que nul ne peut être initié s’il (si elle) ne possède l’instruction indispensable pour comprendre les enseignements maçonniques ;

 

 

 

Si l’on réunit ces significations l’adjectif franc complète alors la définition de l’adjectif libre en désignant les conditions de possibilité de la liberté : l’homme libre l’est par la recherche de l’excellence dans sa pratique. Lorsque les accents se déplacent du domaine opératif vers le spéculatif au XVIIe siècle en Grande-Bretagne, cette pratique s’entend comme pratique de la raison qui assimile d’abord les idées de la Renaissance, ensuite celle de la philosophie des Lumières. L’individu cherche alors à se penser comme sujet au sens plein du terme, comme individu libre.

 

Qu’en est-il de l’expression de « bonnes mœurs » ?

Une planche publiée sur l’édifice rappelle qu’on parlait à l’origine des « bonnes humeurs » par référence à la médecine hippocratique. (Ce point serait peut-être à creuser dans le cadre de l’analyse de nos voyages, car chaque humeur est, chez Hippocrate, corrélée à deux éléments naturels). On retiendra ici que l’évolution vers la formule de « bonnes mœurs » signale que la maçonnerie opérative requérait une bonne santé et qu’elle pratiquait une forme de discrimination physique qui n’a pas lieu d’être dans la maçonnerie spéculative. L’évolution de la formule vers de « bonnes mœurs » signe alors l’évolution vers la maçonnerie au sens où nous l’entendons ici et elle signale aussi que les premières loges anglaises veillaient, par son usage à garantir l’éclectisme intellectuel de leurs membres en en écartant, « les esclaves, les femmes, les hommes immoraux et scandaleux ». (Constitutions d’Anderson)

 

Nous vivons à une autre époque, et la formule se maintient, en dépit de la progressivité que revendique la Franc-Maçonnerie. A quelle fin?

 

 

Retour d’expérience : de mon passage sous le bandeau j’ai retenu le terme sincérité, comme si cette épreuve visait à sonder nos propriétés intrinsèques et nos intentions d’éventuel futur initié. Vouloir jauger la sincérité, c’est chercher, lors de cette épreuve, à mesurer l’adéquation du discours et de l’intention, l’authenticité en somme, pour évaluer, autant que faire se peut, la vérité de l’impétrant ; mais vouloir le faire, c’est peut-être aussi vouloir sceller un engagement réciproque. Le nouvel initié pourra exister dans la loge dans sa vérité, donc dans sa liberté ; mais cette garantie aura une contrepartie : elle sera conditionnée par le respect des règles qui régissent le groupe. Si c’est cela, la formule « libre et de bonnes mœurs » permet alors de tester la compatibilité des attentes de l’impétrant avec celles du groupe. Dans ce contexte la liberté garantirait, voire produirait de la liberté, mais une liberté sous contrat, limitée par les principes du collectif.

Mais alors comment produit-on de la liberté ici? Et de quoi convient-il d’être libre ?

Retour sur le cabinet de réflexion, cette fois.

 

 

On y entre en individu postulé libre, ayant choisi de demander l’initiation. Symboliquement cette liberté a un prix : « le dépouillement des métaux ». Le degré premier de la liberté, c’est donc le renoncement, librement consenti à son statut personnel, familial, professionnel et à ce que celui-ci confère en termes d’avantages, d’avoir, de pouvoir. De la loge, on ressort toutefois après l’initiation, à nouveau muni de ses métaux. Le parcours exécuté pendant la cérémonie d’initiation pourrait donc être représenté comme circulaire, ou plutôt comme spiralé : il inviterait à repasser par la même case mais en la dépassant, en l’habitant autrement ; un peu comme si l’on scellait, en sortant de loge ce soir-là, de nouvelles épousailles avec ce que l’on était en entrant dans le cabinet de réflexion. Mais si l’on quitte la loge ce soir-là, c’est aussi pour y revenir honorer régulièrement les obligations nouvelles, contractées lors de la cérémonie.

 

Tout semble donc fonctionner comme si l’on entrait dans une spirale vertueuse qui lie alors le profane et le sacré.

 

Si c’est cela, comment pratique-t-on alors cette liberté contractuelle ?

D’abord en s’affranchissant de ses obligations profanes, pour être, assidu aux tenues, dans le but de nous côtoyer. Serait-ce que nous nous libérons mutuellement ?

On a vu que l’adjectif libre renvoie pour les opératifs et pour les spéculatifs à une liberté ancrée dans une pratique. Cette pratique est rappelée dans les phrases du rituel comme faisant partie des devoirs de l’initié qui promet, au moment du serment, qu’il « travaillera avec zèle, constance et régularité à l’œuvre de la Franc-Maçonnerie ». Dès sa réception, on lui remet d’ailleurs un tablier, des gants blancs et il aperçoit la pierre brute et les instruments de son métier. « Etre de bonnes mœurs », c’est faire et comme il l’a entendu, faire ce sera ici : « rechercher la Vérité, étudier la morale et pratiquer la solidarité ». Alors comment ?

 

 

En consentant d’abord, il me semble à une ascèse que compense le plaisir des agapes, de leur convivialité et de leurs libations. Je parle d’ascèse parce la liberté impose de se déprendre de ses définitions, de la facilité du prêt à penser, bref, « de son sommeil dogmatique » comme le disait Kant. On trouve ici deux notions clés : la liberté absolue de conscience, soit la liberté de croire ou de ne pas croire et ce qui la rend possible : la laïcité comprise, non comme négation du fait religieux, mais comme principe autorisant à en faire un choix intime, pour vivre en assumant sa différence de conviction sur fond d’universalisme.

 

Ces choix et renoncements impliquent, il me semble, du courage car il faut pouvoir assumer sa vulnérabilité pour essayer de penser librement : il faut ne pas avoir besoin d’avoir raison, ne pas avoir peur d’avoir tort, bref accepter de s’exposer en pensant ses limites et en concevant sciemment l’imparfait.

 

 

Etre Vrai, si c’est de la recherche de la vérité qu’il s’agit, c’est alors : être conscient de ses pulsions en ce qu’elles nuisent à l’accueil de l’autre ; c’est trouver l’énergie de s’arracher à la force des lieux communs et chercher à dépasser celle de nos préjugés inconscients lorsque la parole de l’autre nous semble étrangère. Être vrai, c’est donc accepter – si la pensée est cheminement - de se dé-router pour entendre d’autres vérités en les sachant, comme la nôtre, toujours transitoires…

Cette vérité-là, celle d’une vérité qui ne se dévoilerait que progressivement, n’est que le quotidien de l’expérimentateur en toutes choses. Le cherchant/chercheur sait, si sa contribution procède d’un agir libre et lucide, qu’elle est, par essence, appelée à être dépassée et il souhaite à son travail, qu’il devienne le marchepied de ceux qui le dépasseront…C’est ainsi, peut-être, que l’on réalise, dans et au-delà de la loge, la chaîne d’union : on est conscient de l’héritage et on sait qu’il n’y n’aura jamais de dernier mot.

Le dire est aisé, le vivre est autre chose, car le savoir en conscience c’est essayer de se confronter à sa finitude et tenter d‘y acquiescer. . .

 

 

Quel troisième terme alors ? Dépassement ?

Dans la formule « libre et de bonnes mœurs », la liberté occupe la première place mais cette expression nous invite à vivre en régime « d’impératif catégorique » : ce qui vaut pour moi doit valoir pour tous et réciproquement... Elle nous engage donc au plan individuel et au plan collectif. Elle est corrélée à l’éthique par les notions de respect et de responsabilité.

Qu’implique–t-elle dans notre pratique : elle nous impose, il me semble une délibération intérieure constante car c’est au prix d’une auto-interrogation permanente qui essaie de respecter rigoureusement les principes d’égalité et de fraternité que l’on peut décider de ce qui est recevable ou non dans un groupe, une institution, un état. Etre libre et de bonnes mœurs, ce serait donc pour moi, s’interroger sur les motivations et les impacts de nos faires. Ce serait les passer au crible des principes que nous défendons car nous les pensons porteurs d’une société plus libre, plus juste, plus solidaire. Cela impose d’être plus dans l’être, que dans l’avoir. Cela demande de vivre d’une manière philosophique si philosopher c’est interroger ses rapports avec le monde, les autres, ses pairs.

 

Une telle pratique est à la fois raisonnée et sensible, car elle requiert que l’on puisse douter, se laisser toucher, et travailler en cherchant à concilier ce qui nous constitue intimement : l’émotion et la raison. C’est là que l’on peut peut-être parler d’intention pure et de spiritualité maçonnique. Cette dernière ne viserait alors pas d’autre transcendance que celle d’un idéal collectif dont chacun tenterait de se rapprocher, en se laissant ébranler pour chercher à dépasser, le périmètre restreint de ses propres représentations. Une telle expérience relève, je crois, de l’esthétique au sens le plus large de ce terme…

 

 

J’ai dit…

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6 novembre 2016 7 06 /11 /novembre /2016 16:19

"C'est comme ça, c'est la tradition". Par ces 3 mots "c'est la tradition", on bloque toute initiative, tout changement, au profit d'usages ancestraux qui perdurent.

 

 

 

Tradition vient du latin "traderer" qui veut dire transmettre. Dans le monde profane, les traditions transmettent des connaissances, des us et coutumes  figés qui nous viennent d'un autre âge. Il semble donc paradoxal que les maçons fassent  souvent référence à la tradition maçonnique alors que la maçonnerie est essentiellement progressive selon l'article premier de notre constitution qui est à rappelé à chaque tenue. Il est souvent précisé : «Progressive : qui tend vers l'avenir ». C'est tout le contraire de la tradition profane qui, elle, conserve le passé.

Alors pourquoi ? Qu'est-ce que la maçonnerie peut transmettre ?

 

 

 

La référence à l'article 1° de notre constitution signifie que je me réfèrerai essentiellement aux textes du Grand Orient, bien que la Tradition Maçonnique puisse concerner les autres obédiences reconnues par le Grand Orient De France.

 

Le Grand Orient est une Obédience Initiatique qui, dans le cadre des travaux des Loges, s'efforce de favoriser le perfectionnement intellectuel et moral de ses membres dans la perspective ultime d'étendre ce progrès à l'Humanité tout entière.

Si l'initiation  se limitait à la cérémonie  d'admission ce serait, au mieux, un bizutage dans un local dont la décoration est pour le moins inhabituelle : l'œil dans un triangle, le soleil, la lune, une corde curieusement nouée,  des colonnes, des bougeoirs, etc.

Mais la franc-maçonnerie est un ordre initiatique. Initiatique du latin "initium" qui signifie commencement. Nous sommes des initiés, la Franc-Maçonnerie nous met au commencement de notre chemin. Les décorations  "particulières" qui ornent le temple sont des symboles. Si la franc-maçonnerie utilise des symboles, ce n'est pas pour décorer, mais pour les utiliser pour aider chacun d'entre nous à trouver son chemin. L'ancien Grand Maître et le nouveau l'ont rappelé avec force lors du dernier Convent.

Les symboles sont à la fois simplification et amplification, c'est pourquoi, outils de travail et outils de pensée, ils constituent les supports de la réflexion.

Ils sont simplification car leur figuration est élémentaire. Ils sont amplification parce que chaque utilisateur, chaque initié, peut donner à leur signification une extension croissante au fur et à mesure que se développe, avec son effort de réflexion, son jugement, son intelligence et sa culture. Ils permettent à des hommes de niveau d'instruction non comparable d'accéder à la connaissance.

Le symbole, d'une part réunit, d'autre part socialise. Il rassemble ce qui est épars. Il prescrit: l'équerre du Vénérable Maître souligne son autorité et invite à y souscrire (d'autres diraient à s'y soumettre). C'est oublier que lors de notre initiation il nous fut dit que nous ne mettrions plus jamais un genou à terre. Le symbole a une fonction anti-dogmatique : par la diversité des interprétations, son étude conduit à admettre les différences, à s'ouvrir sur la tolérance et enfin à vivre la complémentarité. Le symbole, par sa fonction exploratoire, permet de rêver à des hypothèses- que l'on doit vérifier-, et de saisir une relation que la connaissance scientifique n'appréhende pas- sans oublier que "inexpliqué" n'est pas synonyme de "inexplicable"-. Le symbole maçonnique jette des passerelles entre le conscient et l'inconscient: il a une fonction médiatrice. Il a une fonction fédératrice: il relie et harmonise jusqu’aux contraires, sans compter qu'il exprime les profondeurs du moi et qu'il stimule les images et les processus de l'intelligence. La démarche symbolique a une fonction intellectuelle: elle donne à penser, elle éveille. Elle possède une fonction "éducatrice à trois niveaux: au plan personnel l'équilibre entre le conscient et l'inconscient; au plan du groupe, une meilleure insertion de l'homme dans celui-ci (le symbole relie les hommes. Il crée une "connivence" entre les initiés); au plan cosmique, la prise de conscience que l'homme n'est qu'un élément de ce dernier, qu'il doit en respecter toutes les autres composantes, et qu'il doit rester modeste.

 

 

"L'initiation n'est pas mysticisme individuel et centré sur soi-même, mais ouverture à autrui et à l'Univers". Ch. JACA.

Notre Tradition nous relie au passé et nous demande de construire l'avenir, c'est à dire de structurer, par les valeurs qui sont les nôtres, une société qui évolue. La chaine d'union est à l'action.

 

 

La Tradition c'est abandonner nos schémas de perception, de pensée, de raisonnement, bousculer nos habitudes intellectuelles -particulièrement, l'éducation reçue-, participer à la libération individuelle et collective, au développement des innovations les plus audacieuses.

 

 

La Tradition nous conduit vers une nouvelle citoyenneté, échappant par nature aux idéologies, aux dogmes contraignants. Elle nous impose une obligation tant morale que politique: éviter les maléfices dogmatiques aliénants qui cerneraient notre société et ruineraient la démocratie, "le pire des régimes mais le moins mauvais de tous" W. CHURCHILL.

Notre tradition, c'est le respect des autres et de soi-même. C'est l'écoute qui permet à la fois de comprendre l'autre et de se connaître,  écoute respectueuse sans interrompre celui qui parle, écoute qui permet un échange serein et fructueux.

 

 

La Tradition, c'est utiliser la chaine d'union, c'est dégrossir la pierre brute, la polir pour lui permettre de participer à la construction du temple de l'Humanité. Pour bâtir un mur, il n'est pas nécessaire que les pierres soient identiques, par contre, des pierres bien équarries, bien polies sont indispensables pour que l'édifice soit solide.

La tradition, c'est rejeter l'exclusion, c'est croire en l'homme responsable qui ne met pas le genou à terre, et refuser comme une douce illusion, voire comme une drogue dangereuse de déléguer la tâche de faire notre bonheur à des "sauveurs" qui sont en particulier l'homme providentiel (qui devient tyran), les progrès de la connaissance (c'est le scientisme, qui confond la technique et l'usage que l'homme en fait), etc. A la crédulité elle oppose la lucidité, l'effort, la coopération de la raison et du sentiment.

Notre Tradition maçonnique est humaniste car elle considère l'épanouissement de l'homme comme une fin et condamne tout ce qui peut exploiter ce dernier et le conduire à son asservissement; elle est faite de fraternité, de respect de soi-même, de respect de l'autre transcendé par l'amour, de tolérance, de solidarité, de liberté, d'équité, d'optimisme.

Adogmatique, elle est laïque.

C'est une tradition progressive, car elle n'impose pas de solution préétablie, mais donne les moyens de trouver une réponse personnelle adaptée aux circonstances, aux connaissances du moment; c'est dire qu'elle veille jalousement à son caractère apolitique. Elle se construit de manière permanente. La Tradition maçonnique du Grand Orient s'ouvre à tous les courants scientifiques, esthétiques, moraux, philosophiques, sociaux: Un maçon se situe à la croisée de plusieurs chemins: celui de l'unicité de l'individu et des identités collectives; celui de l'horizon de proximité et de l'échelon national et international; celui de l'assimilation et du pluralisme culturel; enfin celui de l'universalisme et de la revendication identitaire personnelle.

Trois années maximum et puis s'en vont, tel est le sort des officiers. La tradition nous rappelle que nous ne sommes que de passage; nous ne sommes que des passeurs : cet office, ou cette fonction dans le monde profane n'est pas à moi. Quelle incitation  à l'humilité! Il n'y a pas de pouvoir, pas de chef, mais seulement des fédérateurs. Lors de notre parcours maçonnique, nous entendons "Seul vous ne pouvez rien, ensemble nous pouvons tout".

 

 

 

Notre tradition est orale. Elle se transmet en Loge au contact des Frères et des Sœurs, en écoutant les autres, en s'imprégnant de ce que vit la Loge, de son atmosphère, de l'expérience des anciens. Elle se transmet par les enseignements des Surveillants. C'est dire l'importance de l'assiduité en loge et aux formations.

 

 

 

En résumé, la tradition maçonnique est une tradition de travail sur soi tout d'abord et en Loge avec les autres, une tradition d'humilité, d'écoute, d'utilisation des symboles dans la vie maçonnique comme dans la vie profane, de travail incessant pour améliorer l'homme et la Société (nos frères et Sœurs n'aspirent pas au repos), d'effort permanent pour collaborer avec l'autre, trouver des complémentarités, de lutte contre les dogmatismes de toute sorte et contre toutes les variétés  d'asservissement.

 

 

 

C'est une tradition de combat, qui n'impose pas de directives, mais qui nous conduit à pratiquer un "art de vivre", une manière d'être. Respectueux des vérités anciennes, le Franc-Maçon du Grand Orient se soucie des vérités nouvelles. C'est pourquoi il n'hésite jamais à faire des choix de société. Nous le retrouvons militant dans son entreprise, les oeuvres sociales, les ligues humanitaires, les syndicats, les partis politiques. Enumération non exhaustive.

Ainsi notre Tradition maçonnique ; en s'appuyant sur le passé, balise le cours de la société pour la guider vers l'humanité meilleure et plus éclairée à laquelle nous aspirons tous. Quelle forme prendra cette société? Personne ne le sait. Par contre, ce que nous savons, c'est que les principes auxquels nous croyons, et que nous rappellent notre Tradition, seront mis en oeuvre.

Nous pouvons être certains également que cette société sera laïque. C'est une raison supplémentaire de promouvoir et de transmettre l'idéal laïc, la tradition laïque.

Cela nous sera facile car la toute jeune tradition laïque est l'expression de la Tradition de la Franc Maçonnerie du Grand Orient dont on aurait enlevé "l'aspect formel" de la composante initiatique. La tradition laïque est, si l'on peut dire, notre tradition maçonnique adaptée au monde profane.

 

Il est réconfortant de constater que ces repères résultent également de l'analyse de l'article 1er  de la constitution du Grand Orient De France, à laquelle nous adhérons tous, et ainsi, de vérifier que la Tradition de la Franc-Maçonnerie du Grand Orient -notre Tradition-,  et la constitution du Grand Orient De France sont en symbiose.

 

 

 

 

Les quelques considérations qui précèdent montrent la puissance de la Tradition de la Franc-Maçonnerie du Grand Orient qui, s'appuyant sur le passé, quelle que soit la société de départ, nous conduit invariablement, inéluctablement, vers une société meilleure et plus éclairée, à conditions que nous voulions faire, inlassablement, les efforts nécessaires.

Elle nous convie au travail. Soyons fidèles à nos engagements! Nous n'aspirons pas au repos!

Travaillons! Travaillons! Travaillons!  Dans le respect de la Tradition…..

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28 octobre 2016 5 28 /10 /octobre /2016 08:33

 

Le phénomène se répète immanquablement tous les ans : l’épreuve de philosophie ouvre le bal des examens du baccalauréat général. Et chaque millésime me remémore ma propre copie dont le sujet était : « est-on d’autant plus libre qu’on est conscient ? ». Sujet qui exerce sur moi depuis lors une certaine fascination.

Le concept de liberté s’oppose au principe de déterminisme qui induit l’effet nécessaire de conditions préalables. Le nécessaire qualifiant ce qui ne pourrait pas ne pas être ou être autrement qu’il est. Pour que la liberté soit possible, il faut donc admettre de la contingence, c’est-à-dire l’existence d’une cause indéterminée. Cette liberté est du point de vue métaphysique synonyme du principe de libre arbitre qui sera l’objet de ma réflexion ce soir.

Sans me rappeler précisément quelle avait été ma réponse, la note médiocre dont me gratifia le correcteur me laisse penser qu’au mieux il ne partageait pas mon analyse. Voici  l’occasion de remettre le travail à l’ouvrage.

Mon intention première a consisté à préciser ma compréhension du libre arbitre à la lumière de quelques moments singuliers de l’héritage de la pensée philosophique.

La première partie de ma réflexion vous proposera donc une définition du libre arbitre.

 

UNE DEFINITION DU LIBRE ARBITRE

 

 

Une fois cette définition posée, le deuxième temps de ma réflexion envisagera la possibilité du libre arbitre, possibilité comprise selon deux acceptions : est-il possible d’user d’un quelconque libre arbitre ? Peut-on d’un point de vue logique apporter une réponse à cette question ?

 

DE LA POSSIBILITE DU LIBRE ARBITRE

 

 

Enfin, en forme de conclusion, ma dernière partie s’interrogera sur les prérequis permettant d’envisager l’exercice de son libre arbitre.

 

LES PREREQUIS DU LIBRE ARBITRE

 

Une définition du libre arbitre 

 

Ouvrons le dictionnaire.

Libre arbitre : Faculté qu’a la volonté de se déterminer (par opposition au serf arbitre) ; volonté non contrainte : conserver son libre arbitre.

Le terme « libre arbitre » est une composition nominale formée par la juxtaposition de deux mots, un adjectif et un nom commun, ayant chacun une définition propre mais dont l’adjonction confère une dimension supplémentaire au concept ainsi formé.

 

L’adjectif « libre » vient du latin liber qui signifie sans entrave, indépendant . L’homme libre a le pouvoir de faire ce qu'il veut, d'agir ou de ne pas agir. Le mot « arbitre » vient également du latin arbiter  qui signifie spectateur, témoin,  juge. L’arbitre étant celui qui règle un litige entre des parties. A noter que nos voisins européens associent étroitement à la notion de libre arbitre celle de volonté qu’il s’agisse du Free Will anglais, du Freien Willen allemand ou encore du Volontario italien.  Il s’agit pourtant bien implicitement du libre arbitre de la volonté.

 

Si la notion n’existe pas en tant que telle chez les grecs, elle apparaît en filigrane chez Aristote qui parle dans le livre III de son Ethique à Nicomaque[i] (4ème siècle avant jésus Christ), d’actes involontaires ou d’actes volontaires. Les actes involontaires résultent pour le philosophe de la contrainte, lorsqu’une force supérieure vous oblige, ou bien de l’ignorance, lorsque la méconnaissance d’une situation ne donne aucune prise à l’exercice de notre volonté. Les actes volontaires procèdent quant à eux d’un processus de pesée raisonnable, appelé par le philosophe « choix préférentiel » par le prisme duquel l’homme libre a le choix de faire une chose ou de ne la faire pas.

 

La naissance historique du concept qui remonte au début de l’ère chrétienne, est étroitement liée aux propositions élaborées par les pères de l’église pour caractériser la responsabilité de l’homme vis-à-vis du mal usant de son liberum arbitrium. Ainsi, dans son traité du libre arbitre, rédigé à la fin du quatrième siècle après Jésus Christ, Augustin d’Hippone (ou Saint Augustin) reconnait à l’homme une capacité au libre arbitre par l’intersession de la grâce divine. L’existence du libre arbitre humain entérine pour lui la responsabilité de l’homme face au pêché, disculpant du même coup Dieu.

 

Beaucoup plus tard, Rabelais fait la description du mode de vie des moines peuplant l’abbaye de Thélème, détaillant à son lecteur « comment était réglé le mode de vie des Thélémites ». Le mot Thélème étant forgé par Rabelais à partir du grec thélêma et qui signifie dans le nouveau testament volonté divine. Rabelais raconte que «toute leur vie était employée, non par les lois, statuts ou règles, mais selon leur vouloir et franc arbitre. Se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les parforçait ni à boire, ni à manger, ni à faire chose autre quelconque. Ainsi l’avait établi Gargantua. Et leur règle n’était que cette clause : FAIS CE QUE VOUDRAS, parce que gens libres, biens nés, bien instruits, conversant en compagnies honnêtes, ont par nature un instinct et aiguillon qui toujours les pousse à faits vertueux et retire de vice, lequel ils nommaient honneur.»[ii].

 

Cette citation de Rabelais cristallise la tension apparente propre à la notion de libre arbitre ; c’est-à-dire la possibilité présumée d’un choix libre dans un monde contraint avec une infinité de possibles et une infinité de contraintes. Toutes les propositions de définition faites jusqu’au siècle des Lumières interrogeront à des degrés divers l’intercession du divin en passant par sa réfutation dans la capacité de l’homme à disposer d’un libre arbitre.

 

Plus proche de nous, René Descartes donne dans ses méditations métaphysiques, une définition du libre arbitre dont la concision mérite que nous la retenions, le libre arbitre consistant pour lui à « faire une chose ou à ne la faire pas] sans [qu’aucune force extérieure nous y contraigne »[iii].  

 

 

De la possibilité du libre arbitre

Est-il possible d’user d’un quelconque libre arbitre ?

 

La notion de libre arbitre est un de ces concepts fleuves qui divise de grands courants de l’exégèse et la pensée philosophiques et sur laquelle un positionnement donné induit nécessairement un rapport au monde singulier, emportant un avis sur les notions cardinales de responsabilité et de faute, d’autonomie et d’hétéronomie, de rapport au temps et au divin.

 

Deux grandes familles de pensée s’opposent à ce sujet avec à une extrémité le groupe des déterministes et à l’autre bout de l’arc, les indéterministes. Les premiers, les déterministes se réclamant du principe de causalité, affirment que l’agencement du réel est le fruit implacable d’une succession logique de contraintes, qu’elles soient d’ordre divin, scientifique ou culturel. Les seconds croient à des degrés divers à la capacité de la raison à arbitrer selon une volonté propre au sujet et à lui uniquement.

 

Pour les déterministes, le libre arbitre est une illusion. La responsabilité des êtres au regard de leurs actes est dont limitée voire inexistante, les notions de fautes ou de mérites à relativiser. Ainsi en est-il du philosophe Arthur Schopenhauer lequel réfute toute possibilité du libre arbitre dans son  Essai sur le libre arbitre[iv] et pour qui « chaque action d’un homme est le produit nécessaire de son caractère et du motif entré en jeu. Ces deux facteurs étant donnés, l’action résulte inévitablement ». Autre détracteur du libre arbitre, Friedrich Nietzsche dénonce lui aussi l’illusion humaine du libre arbitre:

 

« En contemplant une chute d'eau] nous dit-il [, nous croyons voir dans les innombrables ondulations, serpentements, brisements des vagues, liberté de la volonté et caprice; mais tout est nécessité, chaque mouvement peut se calculer mathématiquement. Il en est de même pour les actions humaines; on devrait pouvoir calculer d'avance chaque action, si l'on était omniscient, et de même chaque progrès de la connaissance, chaque erreur, chaque méchanceté. L'homme agissant lui-même est, il est vrai, dans l'illusion du libre arbitre; si à un instant la roue du monde s'arrêtait et qu'il y eût là une intelligence calculatrice omnisciente pour mettre à profit cette pause, elle pourrait continuer à calculer l'avenir de chaque être jusqu'aux temps les plus éloignés et marquer chaque trace où cette roue passera désormais. L'illusion sur soi-même de l'homme agissant, la conviction de son libre arbitre, appartient également à ce mécanisme, qui est objet de calcul »[v].

 

A l’inverse, chez les indéterministes, partisans du libre arbitre, la capacité des individus à décider induit l’existence d’une responsabilité individuelle, éventuellement d’un mérite ou d’une culpabilité. Les Stoïciens dans une certaine mesure, tout comme Saint-Augustin, Descartes, Erasme et d’autres se rangent dans cette catégorie. Pour ces penseurs, le libre arbitre est précisément ce qui distingue l’homme de l’animal.

 

 

Peut-on apporter une démonstration logique à l’existence du libre arbitre ?

 

De récentes expérimentations en neuroscience semblent apporter de l’eau au moulin des détracteurs du libre arbitre. Dans ces expériences, on place un individu devant une horloge, avec un bouton dans chaque main. Le sujet est invité à choisir d’actionner le bouton de droite ou celui de gauche et à retenir le chiffre affiché à l’horloge à l’instant précis où il a la perception consciente d’avoir acté sa décision. Le suivi de son cerveau par IRM fait apparaître une activité cérébrale préparatoire à l’action plusieurs secondes avant la prise de décision consciente. Preuve flagrante pour certains de l’inexistence du libre-arbitre. Si l’expérience tend à démontrer que le choix physique du sujet est fait avant son choix conscient, qui dit que la conscience n’est pas en dernier recours l’arbitre ultime qui entérine ou invalide le choix premier ?

 

Chercher à prouver la possibilité du libre arbitre de la volonté est je pense une tâche vaine, car une telle démonstration consisterait à essayer de prouver que le libre arbitre est l’effet nécessaire de certaines conditions déterminantes, ce qui reviendrait de fait à en nier la possibilité puisqu’un acte conditionné ne peut être un acte libre.

 

La position du philosophe Emmanuel Kant permet de dépasser cette impossibilité. Pour lui, la liberté (et par extension le libre arbitre) est un postulat de la raison pratique. Partant du constat de l’existence d’une loi morale et d’une forme de droit dans toutes les sociétés humaines, Kant en déduit que la liberté est un parti pris métaphysique lequel permet de résoudre la complexité de l’homme. Ainsi, même si nous relevons tous d’une forme de  déterminisme naturel se manifestant par des passions et pulsions, nous sommes également capables de s’en extraire par l’action de la raison sous-tendue par un ordre moral supérieur.

 

  • Je pense donc pour ma part que le libre arbitre de notre volonté est une réalité à priori indémontrable et qu’il convient de l’accepter comme un postulat.
  •  

Quelles sont les dispositions particulières et conditions préalables qui peuvent nous permettre d’user de notre libre arbitre?

 

 

Les prérequis du libre arbitre

 

Dans son poème De la nature des Choses écrit au 1er siècle avant notre ère, Lucrèce invoque une  complexion particulière de la matière pour expliquer la possibilité du libre arbitre. « Les atomes] nous dit-il [descendent en ligne droite dans le vide, entraînés par leur pesanteur. Mais il leur arrive, on ne saurait dire où ni quand, de s'écarter un peu de la verticale, si peu qu'à peine on peut parler de déclinaison. Sans cet écart ils ne cesseraient de tomber à travers le vide immense, comme des gouttes de pluie ; il n'y aurait point lieu à rencontres, à chocs, et jamais la nature n'aurait rien pu créer. [...]Qu'un rien dévie en quelque chose de sa ligne, qui serait capable de s'en rendre compte ? Mais si tous les mouvements sont enchaînés dans la nature, si toujours d'un premier naît un second suivant un ordre rigoureux, si par leur clinamen les atomes ne provoquent pas un mouvement qui rompe les lois de la fatalité, et qui empêche que les causes ne se succèdent à l'infini, d'où viendrait donc cette liberté accordée sur terre aux êtres vivants ; d'où viendrait, dis-je, cette libre faculté arrachée au destin, qui nous fait aller partout où la volonté nous mène ? ».

 

L’écrivain Georges Perec reprendra à son compte le clinamen en le plaçant au centre de sa conception de la liberté : « Nous avons un mot pour la liberté] dit-il [, qui s'appelle le clinamen, qui est la variation que l'on fait subir à une contrainte »[vi].

 

De la philosophie antique matérialiste à la pataphysique des oulipiens, la liberté ne consiste surtout pas à faire n’importe quoi. Il est toujours question d’être bousculé ou d’arbitrer en connaissance de cause. Faire n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment reviendrait à être inféodé à ses passions, mu par ses pulsions. Cette forme de soi-disant liberté relevant plutôt de l’asservissement.

 

  • La possibilité du libre arbitre va donc nécessairement de pair avec la conscience d’un monde contraint et notre liberté ne s’exerce qu’au travers d’un arbitrage.

 

Plus grande est notre compréhension d’une problématique donnée, plus large est le panel des options qui s’offrent à nous et plus pertinente sera la réponse que nous pourrons y apporter.

 

  • La connaissance et notre capacité à raisonner sont donc à mon avis les prérequis nécessaires à l’expression du libre arbitre.

 

Cependant, nous procédons tous d’une histoire et d’un héritage particuliers qui orientent forcément nos choix. Le milieu dans lequel nous évoluons imprime nécessairement sa marque sur notre personnalité sans que cela contredise pour autant notre capacité au libre arbitre puisque comme nous l’avons proposé plus haut, le libre arbitre va forcément de pair avec la contrainte. En effet, s’il semble évident que nous sommes tous déterminés de manière plus ou moins consciente à agir sous l’effet cumulé de notre héritage et du milieu dans lequel nous avons évolué, il nous est tous offert de travailler nos pulsions par le suc du raisonnement critique.

 

  • La recherche d’une compréhension toujours plus accrue des contraintes inhérentes à notre propre héritage, doit permettre un exercice approfondie de son libre arbitre.

 

 

D’un point de vue plus pragmatique, la distinction introduite par Epictète dans son Manuel[vii], entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, revêt à mon avis une place centrale.  Ce qui dépend « de nous : la pensée, l’impulsion, le désir, l’aversion, bref, tout ce en quoi c’est nous qui agissons » mérite pour le philosophe une attention accrue. Tandis que ce qui ne dépend pas de nous, « le corps, l’argent, la réputation, les  charges publiques, tout ce en quoi ce n’est pas nous qui agissons » ne nous concerne pas.

Cette distinction fondamentale induit à mon avis deux formes de libre arbitre, l’un s’intéressant à nos représentations, l’autre s’appliquant à nos actions.

 

Parmi les choses qui ne dépendent pas de nous, nul ne choisit de naître dans telle famille ou telle ville, nous n’avons pas de prise sur nos prédispositions physiques, ni sur la maladie ou sur la mort. Nous avons cependant la possibilité de consentir à ces choses ou de s’y opposer, d’en prendre pleinement conscience ou de les refouler. La seule possibilité de libre arbitre envisageable en ce qui concerne notre héritage est donc à mon avis un libre arbitre de la représentation afin de déconstruire autant que faire se peut les faux semblants et considérer les choses pour ce qu’elles sont et uniquement pour cela.

 

Considérant tout ce qui précède, il est saisissant de voir combien notre époque nous invite en permanence à penser vouloir des choses dont nous n’avons en fait pas besoin, tout en nous imposant des croyances qui devraient pourtant relever de notre libre arbitre.

 

Il a récemment été question de l’impossibilité prétendue de vouloir expliquer ou comprendre certaines personnes ayant perpétré des actes terroristes sauf à vouloir justifier ces actes et donc à les excuser. Il me semble que cette attitude revient en quelque sorte à nier à ces personnes la capacité d’user d’un quelconque libre arbitre, et donc s’empêcher de comprendre les mécanismes ayant abouti à de telles actions et donc les moyens éventuels permettant de s’en prévenir.

 

 

En conclusion, je pense donc que tout être humain dispose à priori d’une capacité au libre arbitre de sa volonté. Cette capacité sera d’autant plus grande que nous avons une conscience aigüe des limites du cadre dans lequel nous évoluons et des moyens que nous envisageons à l’intérieur de ce cadre pour atteindre nos objectifs. Dans ce processus, il incombe à chacun d’entre nous de faire cet effort permanent pour distinguer au sein de ce cadre deux types de motifs à l’origine de nos actions :

  • d’une part, les motifs qui relèvent de notre héritage et nous poussent parfois arbitrairement vers certaines directions à l’insu de notre libre arbitre,
  • d’autre part, les motifs extérieurs parmi lesquels certains ne dépendent pas de nous et dont il ne faut pas trop se soucier, et d’autres qui dépendent de nous et pour lesquels la recherche d’une  compréhension toujours plus vive reste à mon avis le meilleur moyen pour atteindre les buts que nous nous sommes fixés.

 

Méditons pour terminer sur cette proposition faite par Jean-Jacques Rousseau dans son Contrat Social  à la veille de la Révolution Française: « l’obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté »[viii]. N’est-ce pas là, la définition même de l’autonomie….

 

 

 

J’ai dit.

 

 

[i]Aristote. Ethique à Nicomaque vers 341 AV JC

[ii] Rabelais. « Gargantua ». vers 1535

[iii] Descartes. « Méditation métaphysique ». IV. 1641

[iv] Schopenhauer. « Essai sur le libre arbitre ». 1837

[v] Nietzsche : « Humain, trop humain » §106. 1878

[vi] Georges Perec. Conférence prononcée à l'université de Copenhague le 29 octobre 1981, in Entretiens et conférences vol. II, ed. Joseph K., p. 316

[vii] Epictète. « Le Manuel » environ 125 AP JC

[viii] Jean-Jacques Rousseau (1762). «Du contrat social ou Principes du droit politique », chapitre 1.8

 

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16 octobre 2016 7 16 /10 /octobre /2016 14:03

 

 

 

 

 

La rue est quotidienne, banale et multiforme… elle fait partie de notre vie de tous les jours…alors, prenons le temps de cheminer ensemble, de lui permettre de nous dévoiler ses secrets de fabrication, ses richesses et ses non-dits.

Si l’on regarde du côté de l’étymologie, on s’aperçoit que la rue vient du latin « ruga » qui se traduit par « ride » au sens de sillon, la Ville seraient alors un curieux visage plus ou moins expressif doté de petites et grandes « rides » qui lui confèreraient une identité et un caractère particulier, unique et singulier.

Mais la rue, c’est d’abord:

  1. un espace de liaison aménagé, bordé d’habitations et de commerce,

  2. un lieu privilégié des échanges,

  3. et enfin un lieu symbolique du  pouvoir, de la liberté et de l’exclusion. 

     

1-      La rue, un espace aménagé

 

Je vous propose de nous plonger tout d’abord dans le projet antique d’Hippodamos de Milet, au 5ème siècle avant JC, et dans son célèbre plan damier, qui divise la ville en une multitude de petits carrés réguliers. Cette organisation permet de « géométriser » le dessin de la ville mais aussi de spatialiser les pouvoirs de la cité et les lieux de résidence des différentes classes d’habitants : artisans, agriculteurs et guerriers.

 

Les villes antiques ont souvent essayé de se rapprocher de cette composition très géométrique, mais n’ont pas souvent eu le loisir de la réaliser, compte tenu notamment de la topographie ou bien du contexte historique, ce qui a permis l’émergence de villes plus complexes. Mais on peut néanmoins noter quelques exemples significatifs comme la ville de Mérida en Espagne ou la ville romaine de Trèves en Allemagne.

 

La création d'une ville et de ses rues obéit alors à un rituel, hérité des Étrusques. Le lieu est choisi en fonction des signes divins. Puis, un prêtre délimite un espace carré avec un sillon tracé par une charrue. Il faut imaginer, le prêtre, au centre du carré, à midi  écartant les bras face au soleil. La direction est ouest donnera la grande rue appelée décumanus. On traçait ensuite le cardo perpendiculairement. Les rues secondaires sont parallèles au cardo et au décumanus, et forment ainsi un maillage géométrique. À l'intersection du décumanus et du cardo on place le forum, lieu du pouvoir, qui se trouve ainsi au centre du mouvement apparent du soleil et donc symboliquement sur l'axe de rotation du monde. On retrouve cette tendance au « plan damier » dans les villes qui se sont posées sur de grands espaces vierges comme aux Etats Unis d’Amérique….

 

Mais pour revenir à nos rues européennes et même françaises et tenter de comprendre leur morphologie parfois déroutante, il faut se pencher un instant sur la question du statut foncier de cet espace. Pendant longtemps, de l’Antiquité et au Moyen Âge, la rue reste un espace privé, qui est le moyen d’accès à d’autres espaces privatifs, propriétés privées bâties ou non. Le passage du statut privé à un statut public s’est déroulé  sur une longue durée et a permis une transformation profonde de l’usage de la rue et donc de sa morphologie.

D’après Maurice Garden, dans l’ "Histoire de la rue",  deux éléments furent indispensables pour que s’opère le changement :

  • Le premier fut l’émergence progressive de l’habitat individuel ou familial

  • Le second est l’appropriation des rez-de-chaussée des maisons par les activités d’affaires

    Petit à petit, les commerces viennent se loger dans le bâti et libèrent l’espace central de la rue, l’habitat se structure mais l’aspect général de nos rues à l’époque médiévale reste un réseau de rues resserrées tortueuses, étroites, sales, obscures et encombrées, autour du lieu à la fois symbolique et matériel du pouvoir, le château ou l’église .

    S’opère alors une lente mutation vers la rue contemporaine : c’est l’avènement massif du domaine public, avec les premières mesures d’alignement et d’élargissement et le souci de résoudre les problèmes d’assainissement, de nettoiement, d’éclairage et de sécurité.

    La logique qui préside à l’ensemble de ces réformes est d’abord celle de la lutte contre l’insalubrité, les  incendies, les épidémies et la résolution des problèmes de circulation.

    Ce lent passage vers une rue « gérée » par le pouvoir local s’accompagne d’une structuration croissante de l’autorité locale (familles, corporations puis bourgeois) qui permet de s’attaquer au dogme de la propriété privée inaliénable.

    Ainsi, petit à petit, le pouvoir est à même de  supprimer les immeubles qui avancent sur la chaussée, d’aligner les maisons, de créer un espace régulier et rectiligne, de restreindre l’espace privatif et d’autoriser l’expropriation.

     

    A partir du 19ème siècle, le champ de l’aménagement d’une rue est parfaitement circonscrit et l’éclairage, nouvellement acquis, amène un élément supplémentaire de confort et de sécurité.

    Antoine Fleury, géographe, nous invite à penser que la  rue a une fonction déterminante dans la fabrique du lien organique entre la sphère publique et les multiples univers privés. En effet, elle assure traditionnellement la mise en relation des lieux, des fonctions et des groupes sociaux.

    Elle permet notamment de réaliser un adressage efficace et lisible et de donner ainsi une réalité et une existence physique à tout habitant, prélude à une forme efficace de contrôle social.

    L’élaboration de l’ensemble des éléments qui constituent une rue dite « classique » touche son apogée lors de la réalisation en 1830 à St Pétersbourg de la fameuse rue  « Rossi » aux proportions parfaites. Les immeubles qui bordent la rue font 22m de haut et la rue mesure 22m de large et sa longueur est égale à 20 fois la largeur soit 440m.

     

    Au 20ème siècle, les concepts changent, l’urbanisme suit les grands courants de pensée qui émergent et la rue perd sa prééminence dans l’organisation urbaine. La mixité des fonctions et des modes de circulation est remise en cause par les préoccupations hygiénistes et  fonctionnalistes. Le Corbusier, avant même la Charte d’Athènes  dit en 1925 : « la rue- corridor à deux trottoirs, étouffée entre de hautes maisons doit disparaître ». L’urbanisme « moderne »  construit alors des îlots centrés sur des dalles ou des espaces verts, créant par là même de nouveaux types d’espaces publics. Quant aux rues héritées, elles ont été « adaptées » à l’automobile, puisque la circulation devait être leur principale fonction.

    Dans les nouveaux quartiers périphériques, les « voies » de desserte locale ou de circulation ont remplacé les rues. A contrario, le terme de « rue »  commence à être utilisé à l’intérieur des immeubles pour caractériser de larges circulations horizontales ou verticales.

    Aussi, progressivement, la rue « classique »  disparait des nouveaux aménagements urbains et notamment au sein des nouveaux quartiers populaires qui apparaissent tout au long du 20ème siècle pour de multiples raisons.

    De façon emblématique, André Lurçat, architecte et urbaniste de Saint-Denis de 1945 à 1970, évoque largement le sujet dans Recherches Internationales. Il y critique notamment  le rejet de toute subsistance de la rue traditionnelle, remplacée par des allées et venelles.

    Cependant, la fin des grandes idéologies  du 20ème siècle dans les années 70-80 sonne le glas de cette approche fonctionnaliste et on s’interroge de nouveau sur la notion d’« espace public » dans les milieux urbanistiques comme en sciences sociales.

     

    La rue est désormais un objet d’aménagement extrêmement codifié par des écoles d’urbanisme, c’est de l’architecture « en creux ». Elle doit répondre à une quantité incroyable d’injonctions plus ou moins règlementaires qui, in fine, amènent une certaine homogénéité, en terme de conception des infrastructures et du choix des mobiliers urbains. Aujourd’hui, la rue est systématiquement pensée pour un meilleur partage entre piétons, transports en commun et automobiles.

     

2- La rue, un espace social

 

Rappelons-nous un  instant la très belle scène d’ouverture des « Enfants du paradis » au cœur du « boulevard du crime » ; on y découvre Garance au cœur d’une  « rue théâtre » agrémentée de mille scénettes banales et formidables ; c’est ça aussi la rue.

Les acteurs y sont pèle mêle, à des heures très différentes ou bien parfois ensemble :

  • des habitants

  • des véhicules de toute sorte

  • des promeneurs

  • des manifestants et artistes de rue

  • des professionnels de l’espace public

  • mais surtout des commerçants

    Le commerçant, au sens large, est en effet un animateur incontournable de la rue au sens où il a façonné la rue par le bâti mais aussi par son occupation « non bâtie » ;

    En effet, dès le haut moyen Age, la rue est encombrée à toute heure de commerces disposés essentiellement au milieu de la rue sur des tréteaux et planches à la manière de nos marchés d’aujourd’hui; pendant très longtemps, les rez de chaussée des maison attenantes ne sont que des lieux de stockage pour les étals avec très souvent des regroupements de métiers qui finissent par donner une couleur à la rue ; ainsi, on voit apparaitre la rue des drapiers, des bouchers…que l’on retrouve encore parfois dans nos vieux quartiers. Les noms de rue commémoratifs ne sont arrivés qu’au 17ème siècle.

    Cette tendance à l’occupation spatiale est encore palpable lors des marchés,  brocantes et braderie et parfois au quotidien lorsque les cafés font déborder généreusement  leurs terrasses.

    La rue est alors l’endroit où se font les achats quotidiens, de nourriture comme de vêtements, et dont chaque quartier se doit d’offrir l’échantillon le plus complet possible.

    C’est cette pratique qui rend la rue inaccessible, qui multiplie les embouteillages, les encombrements et les tensions de voisinage.

    Une des réponses à ce désordre est la création d’espaces spécialisés, qui ne sont plus des rues, mais des places aménagées pour l’étalage et la vente des marchandises : marchés couverts, halles couvertes.

    Mais la rue est un peu plus que cette promiscuité de chalandise. Elle est aussi, le lieu de la  rencontre de proximité ; les habitants des mêmes immeubles s’y retrouvent, s’y croisent de façon aléatoire ou programmée et tissent alors des liens de complicité plus ou moins solides.

    La ville est même définie par le sociologue René Schoonbrodt comme « la présence et l’accumulation des autres dans un même lieu ». La rue représente donc la dimension humaine dans l’immensité de la ville.

     

    Cependant, tout au long du 20ème siècle, la rue s’est peu à peu  « déshumanisée » et vidée de ses occupants historiques.

    Thomas Sauvadet, sociologue propose une interprétation de cette « disparition progressive de l’humain », notamment dans les quartiers populaires :  

    Aussi, jusque dans les années 50, l’habitat, souvent très modeste, servait essentiellement à dormir et parfois à manger. La socialisation se faisait ailleurs et principalement dans la rue ; l’ère du confort et du modernisme a fait son apparition et sont alors apparus des intérieurs cosy dotés de canapés et de télévisions qui ont fait rentrer les adultes de la rue à l’intérieur des logements et qui ont laissé la rue sans cette présence « ô combien » nécessaire pour assurer un équilibre stable.

    Mais il faut surtout souligner l’encombrement progressif de nos rues par le trafic automobile; c’est l’évolution majeure de notre siècle passé. Le rythme des flux a brutalement changé pour passer du rythme du cheval à celui de la voiture moderne.

    N’oublions pas que, jusqu’à l’aube du 20ème siècle, la rue reste le domaine du cheval : à Paris, en 1900,  on compte encore plus de quatre-vingt mille chevaux en activité.

    L’autre révolution a été celle de l’occupation spatiale, ; en effet, en urbanisme il est d’usage d’utiliser un ratio d’environ 25m² par véhicule, c’est dire la place nécessaire qu’il a fallu dégager pour accueillir nos nombreuses voitures et l’enjeu de notre ville de demain amorcée notamment lors de la conférence européenne sur les villes durables qui s'est tenue dans la ville danoise d'Aalborg le 27 mai 1994. A noter en clin d’œil que l’inversion de ce processus est en cours en mentionnant par exemple les nombreux projets de piétonisation de rue destinées jusqu’à présent au trafic routier.

     

3 La rue enfin comme espace symbolique, celui de la

démonstration du pouvoir, de la liberté et de l’exclusion

 

La rue comme décorum et mise en valeur du pouvoir : le pouvoir des pierres taillées !

Historiquement, les pouvoirs politiques ont toujours utilisé les décors urbains comme l’expression symbolique de leur puissance. Aussi, lors des célébrations de toute nature, la rue  n’est alors utilisée que comme lieu de passage et s’inscrit dans une géographie volontaire du pouvoir démonstrateur. Le choix de la composition urbaine en terme de volume bâti, le choix des matériaux de construction de la rue et des espaces connexes tels que les parcs et les places, le choix d’un jalonnement et d’un rythme de lieux symboliques le long d’un parcours, sont autant d’outils mis à disposition du pouvoir pour créer la théâtralisation de ce pouvoir et son inscription durable dans l’esprit des passants.

La rue devient alors l’objet et le lieu du spectacle. Le décor devient un élément majeur de la symbolique du pouvoir.

 

La rue et la liberté

La rue représente aussi le lieu de l’expression du peuple que ce soit pour contester le pouvoir ou bien simplement pour « faire la fête ». Pour une personne seule, la rue permet la rencontre possible avec l’inconnu, avec des personnes très différentes, d’une autre origine sociale, d’un autre âge ; elle est le creuset de tous les possibles.

Dans cet esprit, Christine Orban écrit : « Il y avait des matins où je me sentais tellement seule que j'imaginais descendre du troisième étage, choisir quelqu'un dans la rue, n'importe qui, et lui demander: voudrais-tu être mon meilleur ami ? sur le ton du Petit Prince s'adressant au Renard. »
A titre collectif, elle accueille la joie qui s’exprime après un évènement social important comme une libération, une victoire politique, une victoire sportive ; elle accueille la joie, mais aussi la colère du peuple.

Aussi, pour rester dans le ton du titre de Politis de cet été «  la rue est à nous », on peut citer des expressions qui montrent l’importance symbolique de la rue exprimant comment la rue incarne la colère du peuple: descendre dans la rue, occuper la rue, tenir la rue…

 

La rue qui exclut… « le bas du pavé »:

 

Mais la rue est aussi parfois un non-lieu. Elle accueille en son sein les franges les plus fragiles de la société.

 

Au premier chef, on trouve évidemment  les « filles de rue », les prostituées qui ont tant inspiré nos poètes qui les ont même appelé « les filles de joie » mais… « C’est pas tous les jours qu’elles rigolent…parole… »

Puis on rencontre aussi les petits voyous dont la racine remonte à voie et donc à la rue ; Thomas Sauvadet les a beaucoup étudiés notamment dans les quartiers dits « populaires » et les a même définis par un terme « les raccailleux ».

Ces jeunes qu’il qualifie de « jeunes de rue »ou de « jeune en rue » tendent à s’approprier la rue, du moins à certains moments et à certains endroits, alors que les autres résidents du même âge évitent cet espace, en particulier les filles. »

« On dit les enfants des rues comme si les rues étaient leurs mères. »

(La belle amour humaine Lyonel Trouillot)

On trouve ensuite les voyageurs, les vagabonds modernes que l’on nomme presque officiellement : les «  punks à chiens » auxquels nous nous sommes peu à peu habitués mais qui au 19ème siècle étaient condamnés à une peine d’indignité physique et morale.

Et puis il y a évidemment les personnes et parfois même des familles qui viennent s’échouer dans nos rues, dans les petits recoins de nos rues ; cette population que la sociologue  Pascale Pichon a longuement étudiée et qu’elle décrit avec beaucoup de tendresse.

L’auteur de « vivre dans la rue » aborde sans tabous les thèmes de l’identité, de la honte, de l’enfermement de la rue et de l’invisibilité…de ceux qu’on ne voit plus.

 

Conclusion

 

La rue a donc une histoire, La rue a donc un public et des acteurs, La rue est donc dotée de codes et de symboles.

Mais la rue est avant tout, pour moi, cet espace organique qui nous relie les uns aux autres, qui permet la rencontre et la confrontation à un monde partagé, elle fait de nous, par nécessité, des citoyens, comme disait Victor Hugo.  

« La rue est le cordon ombilical qui relie l’individu à la société »

…en n’oubliant pas de préférer, toujours, comme un acte de foi,  le côté ensoleillé de la rue.

J’ai dit

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2 octobre 2016 7 02 /10 /octobre /2016 14:11

Je vous propose de commencer par un poème d’Andrée Chédid

Je revenais des autres chaque fois guéri de moi

A l'abri d'un sourire

D'un geste qui donnait champ

Des moissons d'une parole

Je quittais citernes et mirages du chagrin pour une sorte de bonheur Le bonheur ?

Problématique

Dans notre loge le terme de bienveillance apparait souvent... notamment lors des jolies planches d'accueil de notre Soeur Orateur. Ce terme semble faire “commun” à Lumières et Laïcité, mais… incantation, affirmation, espoir ou volonté....? J'ai donc décidé d'aller chercher ce que ce mot voulait dire, ce qu'il recouvrait, ce que je pouvais faire de ce concept, peut-être pour me l'approprier et peut-être pour l'adopter. Je dois dire que c’est un mot qui évoque en moi des sentiments contradictoires : de l’agacement lorsqu’il est injonction sociale, de l’intérêt lorsqu’il me semble qu’il peut être une déclinaison de la fraternité. C’est donc par ce prisme que je vais développer mon propos : la bienveillance peut-elle venir outiller la fraternité ? Nous aider à échanger le plus pleinement possible en étant soucieux des réalités différentes qui nous animent, à tenter d’être vertueux dans la relation, avoir une certaine éthique de communication, de relation, à nous permettre de donner corps à la fraternité ? Je vous propose donc de cheminer avec moi à la rencontre de la bienveillance tout d’abord avec une tentative de définition puis en allant voir du côté des religions, des philosophies, puis du côté de la psychologie et des neurosciences avant d’aller chercher des outils qui faciliteraient une communication bienveillante, pour enfin se poser la question de la bienveillance en Franc-Maçonnerie.

Définition

Lorsqu'on va chercher des définitions, un champ lexical plutôt riche s'ouvre à nous : empathie, sympathie, complaisance, bientraitance, altruisme ... Il me semble que ces mots désignent un état de fait alors que j'ai l'impression que dans notre loge on souhaite plutôt faire de la bienveillance un mouvement, un acte volontaire....comme : “on ne nait pas bienveillant, on le devient....”, ou comme une pierre à tailler dans la volonté de faire fraternité. La bienveillance est un terme dérivé du latin benevolentia qui signifie « disposition favorable envers quelqu'un dans les relations de personne à personne en particulier de supérieur à inférieur »....je vous propose d’oublier cette dernière partie de la définition, on pourrait alors parler, pour ce qui nous concerne, de “bienveillance fraternelle”... La bienveillance serait donc en quelque sorte un art de la relation. Le terme volentia indique que la bienveillance est le fruit d’une décision, d’une volonté, d’une posture consciente, celle de vouloir du bien, à l’autre, aux autres, et à soi. Je discerne aussi le mot « veille », comme une volonté qui veille, voire qui éveille ... ? Le terme de “bienveillance” recouvre des sentiments que l’on nomme aujourd’hui gentillesse, solidarité, altruisme, humanité, empathie – et qui par le passé étaient connus sous d’autres noms, tels que philanthropia (amour de l’humanité) et caritas (amour du prochain ou amour fraternel).

Du côté des religions et des philosophes

Cette question de la bienveillance a parcouru l’histoire et le monde semble-il…. Pendant la plus grande partie de l’histoire occidentale, le christianisme, a sacralisé les instincts généreux de l’homme et en a fait le fondement d’une foi universaliste. A partir du XVIe (16) siècle, le commandement chrétien “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” subit la concurrence de l’individualisme. Dans le Léviathan, Thomas Hobbes (1651), considère la bonté chrétienne comme une absurdité. Ses vues mettront du temps à s’imposer, mais à la fin du XVIIIe elles semblent être devenues l’orthodoxie. Les spiritualités et philosophies traditionnelles plaident également pour la bienveillance. Le confucianisme pour lequel la bienveillance est la première et la plus importante des Cinq vertus, le taoisme, et le bouddhisme qui fait de bienveillance l’un de ses « quatre incommensurables ». Marc-Aurèle a mis au centre de sa philosophie la notion de bienveillance. Tout au long des Pensées, il laisse entrevoir une attention particulière à l’autre, et insiste notamment sur la bienveillance avec laquelle il faut agir vis-à-vis d’autrui.

Dans la philosophie contemporaine, la bienveillance a ses théoriciens, Joan Tronto et Carol Gilligan aux États-Unis ou Fabienne Brugère en France avec l'éthique du Care. Ce « prendre soin », ce souci des autres, qui pose la question du lien social différemment en mettant au cœur des relations sociales la vulnérabilité, la dépendance et l'interdépendance et qui valorise l'idée et le fait de vivre les uns avec les autres plutôt que les uns contre les autres.

Je vous vous propose dans ce balayage historique rapide de nous arrêter sur ce qu’a pu dire Kant de la bienveillance,

~~Il nous invite à faire la nuance entre « bienveillance pathologique » et « bienveillance pratique », il distingue l'amour pathologique, le sentiment d'amour que l'on éprouve pour quelqu'un, de l'amour pratique, qui est un devoir d'amour. Autrement dit, l'amour pratique ou la bienveillance proprement morale, fait appel à la raison, et ne se fonde pas dans les élans, les penchants de la sensibilité mais seulement dans le devoir, dans une obligation purement rationnelle qui ne doit rien, qui exclut même, tout ce qui vient de nos émotions, de nos sentiments, de la sensibilité. Cette façon de voir me désarçonne un peu, m’interroge, comme si l’on devait choisir entre la morale et les sentiments… Or si j’observe du côté de la relation des parents avec leurs enfants, il me semble que ce n'est pas par pure affection que nous élevons et prenons soin de nos enfants, ce n’est pas non plus par devoir moral dénué de tout sentiment…. Je vais recentrer mon propos sur la bienveillance fraternelle, la bienveillance comme éthique relationnelle ou éthique de communication. J’ai trouvé une réflexion intéressante chez le philosophe contemporain Jürgen Habermas qui parle lui d’éthique discussionnelle. Il pense pouvoir permettre à travers une éthique communicationnelle l’existence de sociétés capables de concilier le bien individuel et le juste collectif. L’éthique discussionnelle est ce qui facilite l’expression de la vérité, qui met en tension le bien et le juste. Pour lui : - Le bien renvoie à des valeurs personnelles et alors n’a pas une portée universelle - Le juste renvoie à des valeurs indiscutables, car intéressant tous les hommes. Le juste serait ainsi le même pour des personnes ne partageant pas les mêmes idées. Et c’est parce qu’au-delà de nos différences d’appréciation du bien, nous sommes capables de définir ce qui est juste, que nous parvenons à vivre ensemble. C’est pour moi le sens de ma présence ici : faire œuvre commune dans la recherche, au plan des valeurs, de ce qui est juste pour tous au-delà de ce qui est bien pour chacun. Cette recherche d’une rationalité partagée nécessite des règles de discussion. Notre rituel en propose une forme. J’ai pris le temps d’aller en chercher d’autres, dont je vous ferai part plus loin dans mon exposé, dans une partie consacrée aux outils de la bienveillance.

Du côté de la psychologie et des neurosciences

Pas question ici de philanthropie : les travaux de la psychologie positive en France montrent combien la bienveillance et l'écoute dans le monde de l'entreprise font preuve d'efficacité économique. La science s'intéresse de plus en plus à la thématique de l'altruisme, de l'empathie. Ces recherches, aussi bien chez les psychologues, les biologistes que chez les économistes tendent à montrer que l'aptitude à se tourner vers autrui apporte du bien-être à l'individu, à la société, voire à l’économie …. Google a lancé en 2012 une étude pour déceler le secret des équipes de travail les plus productives : « Faut-il que les membres de l’équipe aient des centres d’intérêt similaires ? Qu’ils se voient en-dehors du travail ? qu’il y ait autant de de femmes que d'hommes ? » Autant de questions étudiées par les statisticiens, chercheurs, sociologues, psychologues : aucune corrélation n’a été trouvée. Et puis les chercheurs ont pensé à la bienveillance… Enfin, pas exactement, plutôt à la sécurité psychologique que l’on peut expliquer de la sorte : il s’agit d’un cadre dans lequel les salariés n’ont plus peur de prendre des risques, un climat dans lequel ils ne craignent pas d’assumer leurs erreurs. Une autre étude menée en 2014 par le département d'économie de l'Université de Warwick au Royaume-Uni montre que la productivité d'une équipe heureuse augmente de 12 % ! Les dirigeants d’entreprise s’emparent donc de ce nouveau concept et tout à coup un soupçon m’envahit : la bienveillance de ce XXIe siècle est-elle un avatar du Paternalisme du XIXe ?

Du côté des neurosciences ;

Dans les années 90 le neurologue Giacomo Rizzolatti découvre les neurones miroirs : quand quelqu’un en face de moi réalise une action, cela éveille la même chose en moi au niveau de mon activité neuronale : si je vois quelqu’un se gratter ou bailler, je vais avoir envie de faire pareil. Fondamentaux dans notre système de relation, ces neurones s’activent (en miroir) lorsqu’il y a geste et également, chez l’homme, lorsqu’il y a intention de geste. Mon cerveau s’allume quasiment de la même façon si j’agis ou si je regarde faire. Ce serait donc une base cérébrale de l'empathie ? Quand nous avons le sentiment très agréable d’être en communion, en parfaite résonance avec l’autre, il existe une traduction biologique : nos neurones miroirs s’activent, ils constituent une sorte de sixième sens qui rend les émotions contagieuses. Par ailleurs, chaque fois qu’un être humain est dans une ambiance agréable, qu’un regard bienveillant est posé sur lui, son organisme sécrète de l’ocytocine qui est une hormone permettant de faire preuve d’empathie envers autrui, de faire face au stress, de donner confiance en soi, et de coopérer…. Et là on en revient à Habermas… Si je suis bienveillant avec mes frères et sœurs de loges, mon cerveau, directement, et le leur, par l’effet des hormones miroir, produira de de l’ocytocine qui me permettra de coopérer au mieux. Cette première partie de mes recherches m’amène à me dire que la bienveillance, au-delà d’être agréable et éthique, serait aussi efficace... Mais, à ce stade, ce qui me manque, ce sont des outils : «comment je fais pour être bienveillante…?»

Du côté des outils

J’ai donc à tailler ma pierre communicationnelle, à être responsable de la façon dont je rentre en communication avec les autres… Reste à se doter des bons outils….. La Communication Non-Violente . Le courant de la communication non-violente a d’abord été porté par l’américain Marshall B. Rosenberg depuis les années 1980. La communication bienveillante permet de donner leur place à nos émotions et celles des autres. Il explique que les émotions sont générées par un besoin, et que nous avons à le repérer lorsque nous sommes submergés par une émotion notamment négative.][ Je dois, quand je ressens une émotion violente qui pourrait se traduire par de l’agressivité, aller chercher au fond de moi à quoi elle correspond et rectifier ensuite pour pouvoir exprimer un besoin qui soit «entendable» par mon interlocuteur. Dorénavant au lieu d’agresser mon conjoint parce qu’il rentre tard, je vais plutôt lui exprimer mon besoin de passer du temps avec lui….Je vous raconterai si ça fonctionne…..

La bienveillance peut sembler être un concept bisounours qui amènerait à ne pas dire les choses. Elle peut inspirer de la méfiance, et ses démonstrations sont jugées moralistes, sentimentales voire mièvres. Aux personnes qui pourraient partager ce point de vue, la communication non-violente propose l’assertivité qui est considérée comme l’art de faire passer un message difficile sans passivité mais aussi sans agressivité. J’ai trouvé également un autre outil qui me parait pertinent : “ Les trois passoires de Socrate” Un disciple dit un jour à Socrate : “Maître j’ai une information à te communiquer sur un de tes amis” Socrate répond : “Je veux bien t’écouter mais as-tu fais passer cette information par les trois passoires? -Trois passoires… ? Que veux-tu dire Maître ? -Ton information doit d’abord se soumettre à la passoire de la VERITE. T’es-tu bien assuré que ce que tu as entendu et que tu veux me dire, reflète bien la vérité ? Dans le cas contraire Oublie-la ! Si c’est la vérité, soumets-la à la deuxième passoire, celle de la QUALITE. S’il s’agit de quelque chose de mauvais ou de péjoratif, il ne serait pas bon de la divulguer… Oublie-la ! Si elle est vraie et positive, prends ta troisième passoire, celle de l’UTILITE. Est-ce utile ou superflu de m’en informer ? Si c’est utile, que veux-tu que j’en fasse ? Eh bien, dit le sage, si ce que tu as à me dire n'est ni vrai, ni bon, ni utile, oublie-le et ne t'en soucie pas plus que moi… » Voilà donc quelques outils permettant de travailler l’émission de la parole. Il manque à mon avis quelque chose du côté de la réception. Je suis responsable de la façon dont je transmets un message mais je suis également responsable de la façon dont je reçois un message…. J’ai trouvé un outil pour cela dans « les accords toltèques ». Miguel Ruiz propose de passer avec soi-même quatre accords visant à briser nos croyances. Ces idées ne sont pas nouvelles. Elles reprennent les principes de la thérapie cognitive, qui démontrent à quel point le manque de distance ou la généralisation abusive sont des pièges. Il explique notamment que les paroles et les actes de l’autre ne nous concernent pas en propre. « Ils lui appartiennent parce qu’ils sont l’expression de ses propres croyances. » Vous êtes critiqué ? Ou encensé ? « C’est l’image que l’autre se fait de vous, ce n’est pas vous. ». De même, les événements qui surviennent ne sont pas toujours des réponses à notre comportement, ils nous proposent de sortir de cet égocentrisme qui nous fait croire que tout ce qui arrive autour de nous est une conséquence de notre attitude. Comment s’y prendre ? Il s’agit moins de rester stoïque que de prendre du recul, de ne pas ramener à soi ce qui appartient à l’autre, car cela déclenche inévitablement de la peur, de la colère ou de la tristesse, et une réaction de défense. L’objectif : laisser à l’autre la responsabilité de sa parole ou de ses actes et ne pas s’en mêler. Facile à dire….

Franc maçonnerie et bienveillance

La question à poser maintenant est : pourquoi la bienveillance est-elle une vertu dans notre loge? Pourquoi est-ce important pour nous ? La maçonnerie est une fraternité. En la cultivant nous devrions être naturellement… bienveillants...mais la bienveillance n'est pas souvent naturelle, elle est un effort permanent sur soi pour éloigner la discorde, le jugement, pour laisser les métaux à la porte. La fraternité est une condition, la bienveillance est une attitude, un comportement volontaire, une pratique, une discipline. Adopter une attitude bienveillante, pour un maçon, c’est donner corps à l’état de fraternité. Je dispose pour cela de l’outil opératif qu’est la truelle qui sert à gâcher le mortier destiné, en cimentant les pierres de l’édifice, à en réaliser l’unité. La truelle réunit, fusionne, unifie. Plantagenet dit d’elle qu’elle est « le symbole de l’amour fraternel qui doit unir tous les maçons….Aussi longtemps que le compagnon (…) ne s’en est pas rendu compte, son œuvre n’est pas achevée (…)”. Le simple respect du rituel nous conditionne à la bienveillance, par l’écoute de l’autre, le respect de son point de vue et de sa manière de percevoir les choses, par le respect des règles de prise de parole. Il y a le rituel dans sa forme mais également dans le fond. Régulièrement les paroles prononcées pendant la tenue me rappellent à l’ordre sur des notions fondamentales que je souhaiterais sincèrement habiter mais que je perds régulièrement de vue dans ma vie quotidienne. Ces « piqures de rappel » bimensuelles me sont encore nécessaires…..car hors du temple, je suis invitée comme vous tous à l’exemplarité en faisant preuve de bienveillance à l’égard de mes semblables, conformément à la voie tracée par le rituel de clôture : « …ils répandront les vérités qu’ils ont acquises ; ils feront aimer notre ordre par l’exemple de leurs qualités…». Pour ma part, le travail que représente un comportement bienveillant est une attention, une discipline que je conçois comme un don que je souhaite faire aux personnes avec lesquelles je partage un toit, un bureau, un temple …. Viendra ensuite, dans un second temps, peut-être une sagesse, une maîtrise qui me permettront d’étendre cette attention plus largement. Voilà j’arrive à la fin de mon petit voyage dans la bienveillance…. Je reste en interrogation quant à cette quête de bienveillance qui peut me sembler en décalage par rapport aux problématiques du moment : terrorisme fanatique, populismes. Quand le réel prend le visage des fractures sociales et identitaires, de la violence et de la mort, la pensée « bienveillante » n’est peut-être plus de mise… c’est la thèse du livre de Yves Michaud « contre la bienveillance » qui est sorti au printemps. Il explique qu’étendre à la sphère de la politique cette bienveillance c’est oublier qu’on ne fonde pas la politique sur les bons sentiments mais sur des principes de justice. Je suis également interpellée sur ce que j’ai pu lire pendant mes recherches : la gentillesse est devenue un signe de faiblesse aujourd’hui, les gentils le seraient uniquement parce qu’ils n’ont pas le cran d’être autre chose, la gentillesse serait une vertu de perdants. Et cela me questionne beaucoup plus que de savoir si la bienveillance est un acte égoïste ou altruiste…. je vous propose d’ailleurs de régler le problème en mettant du « et » à la place du « ou » : la bienveillance est une posture égoïste ET altruiste….et ça c’est plutôt pas mal finalement….

J'ai dit

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11 septembre 2016 7 11 /09 /septembre /2016 19:20
  1. La corde comme ligne de vie

Juin 2005, une chaude soirée, quatrième voie d’une calanque de Cassis, chaussons, baudrier, mousquetons, dégaines. Et…une corde. Cet accessoire qui semble parfois inutile, voire gênant dans des passages étroits ou en surplomb. Cette corde qu’il faut « lover » pour la ranger une fois la grimpe terminée me fait beaucoup penser à la corde à nœuds ou à lacs d’amour. Cette corde et son nœud en huit a fait son office et m’a retenue en cette soirée, lorsque mes mains et mes bras tétanisés, exténués ont lâché leurs prises. La prière, la chute… puis l’arrêt brutal dans le baudrier. Cette corde à nœud… et lui qui était hors de portée de ma voix et de ma vue mais qui était resté concentré. Il m’a assurée, il m’a retenue de cette chute mortelle et j’ai pu admirer un magnifique coucher de soleil à l’arrivée. Les alpinistes savent à quel point leur vie et celles de leurs compagnons de cordée sont liées, liées à cette corde et à la vigilance et responsabilité de chacun des encordés.

Le fœtus est relié à sa mère par le cordon ombilical, sans lui point de nutriment ni d’oxygène, sans lui point de vie. Un cordon qui le lie au plus proche à sa génitrice et qui est souvent coupé par le père. Acte de séparation qui ouvre ainsi l’autonomie à ces deux êtres ; le nouveau-né, qui doit apprendre à exister hors de cette fusion primaire, lutter contre l’angoisse de la solitude et de la nuit et la mère qui redevient une plutôt que double. Pour le bébé, ce moment de rupture du lien avec la mère lui permet d’accéder à une autre étape de son existence en lui donnant accès à la société humaine.

La ligne de vie c’est aussi ce fil des trois Moires grecques ou Parques romaines, trois sœurs, trois déesses, qui selon la mythologie gouvernent la vie des êtres humains : Clotho qui file et donne naissance, Lachésis qui dessine la destinée ou le chemin de la vie et Atropos celle qui coupe inévitablement le fil, donnant ainsi la mort. Un fil souple et fin qui relie la venue au monde au trépas, le premier cri au dernier soupir.

La houppe dentelée, cette corde à glands qui entoure le temple et parfois son tapis, semble nous désigner la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, entre la vie et la mort. L’arpentage consistait d’ailleurs à tracer un édifice rituel à partir de cet instrument de mesure qu’était la corde à nœuds, grâce à l’unité de longueur que donnait la distance entre chaque paire de nœuds. La houppe dentelée marque la limite entre le monde sacré et le monde profane, entre les Maçons et les non-initiés. Elle est une enceinte protectrice de la loge contre des ennemis potentiels venant de l’extérieur. Pourtant, cette barrière est sans pouvoir face à l’ennemi que nous pouvons être pour nous-mêmes et que nous redécouvrons lors de l’initiation, dans le miroir qui nous fait face.

Son nœud de huit est un nœud qui en unissant ses deux extrémités, unit la vie à la mort, le haut et le bas, le sacré et le profane, Dieu et les hommes. Une corde à houppe figure d’ailleurs sur les armoiries des Papes, rappelant peut-être l’Alliance entre Dieu et les hommes.

  1. La corde qui contient et entrave

Les bouts sur un navire sont ces cordages omniprésents, centre d’activité principale de tout marin. Ils libèrent ou contraignent les différentes voiles. Le marin choque l’écoute de grand-voile et tente ainsi d’employer au mieux le vent pour avancer dans la direction et à la vitesse escomptées. La corde ici permet de contenir, de restreindre, de donner une forme. Deux bateaux s’amarrent ensemble afin qu’ils ne s’éloignent pas l’un de l’autre et leur éviter ainsi la dérive. Les nœuds marins, nœud de chaise, double huit, etc. ont leurs codes. Le navigateur doit les connaître et pouvoir les réaliser vite et bien même sous la tempête. La corde à nœuds du voilier est celle de la discipline, de la régularité et de la maîtrise par l’homme, de deux éléments naturellement indomptables : l’air et l’eau.

La laisse maintient le chien sous contrôle, elle l’oblige à suivre son maître. La longe permet similairement de contenir son cheval et de le stationner où bon vous semble. Donner du mou c’est donner à l’animal la possibilité d’aller à son rythme, la tirer c’est lui demander de s’arrêter ou de ralentir. C’est le signe de la propriété et du désir de garder pour soi, avec soi et auprès de soi, l’appropriation enfin, d’un être né pour être libre. On dit de l’homme qui se marie, qu’il se fait passer la corde au cou. Il y a derrière cette expression, la pensée qu’il perd sa liberté, son autonomie, qu’il devient aliéné et que sa conduite est désormais dictée par son épouse.

La corde à nœuds est aussi un instrument de torture, elle entoure le prisonnier dont on veut arracher une information, l’empêchant de se mouvoir ou de se défendre. Elle s’abat sur le dos et les chairs de celui que l’on veut faire souffrir pour le soumettre ou le punir à l’instar du martinet sur le derrière de l’enfant désobéissant.

Le pendu lui, fait l’expérience de la corde de mort. Et le nœud est justement ce qui l’étouffe avec la force de sa chute et de son propre poids. Ce moyen de donner la mort par suffocation ou rupture de la nuque est rarement considéré comme une mort digne. C’est un moyen rapide sans effusion de sang mais qui laisse une trace, les condamnés étant souvent pendus en place publique devant la foule et laissés sur place pour dissuader ceux qui auraient été également tentés de défier la loi. Le corps se balance alors plusieurs jours à la vue de tous, tel un pantin balloté au gré du vent et des charognards.

Le nœud de cette corde peut être le nœud gordien, l’inextricable, celui qui est au cœur du problème, problème qu’on ne peut résoudre sans dénouer son centre. Ce sont les nœuds à l’estomac de celui qui a une épreuve à traverser, une performance à accomplir, la peur de ne pas y arriver. Nœuds de celui qui stresse, angoisse ou se tracasse. Nœuds dont on ne trouve pas seul la clé le plus souvent. Nœuds comme autant d’embuches et d’épreuves dans une vie.

Dans l’art figuratif grec archaïque, Oknos est représenté dans l’Hadès comme un vieillard assis qui tresse une corde, tandis qu’un âne à ses côtés, la dévore au fur et à mesure qu’elle est tressée. Ce mythe a pu être interprété comme un époux, dont l’épouse dépensière, dilapidait au fur et à mesure l’argent gagné. Elle peut être un miroir de l’inanité de l’existence ou de la nécessité de travailler indéfiniment. Je la perçois moi comme la lenteur et la difficulté qu’impliquent de forger son âme pour un être humain et de s’améliorer moralement. L’individu avance puis chute presque continuellement.

  1. La corde à nœuds : symbole de l’interdépendance

La corde est à la fois souple et résistante. Elle tire justement sa force de sa souplesse.

« Votre compassion, lui répondit l’Arbuste

Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.

Les vents me sont moins qu’à vous redoutables

Je plie et ne romps pas. »

C’est ainsi que dans sa fable « Le Chêne et le Roseau », Jean De La Fontaine nous conte que le souple roseau résiste à la tempête en ployant, quand le chêne orgueilleux s’abat déraciné, après avoir vainement tenté de s’opposer. La corde à nœuds peut donc rappeler aux Maçons, que l’adaptabilité, la souplesse, l’humilité et la tolérance sont des qualités essentielles. La corde de l’arc, elle, a une force invisible, elle tire sa puissance et son élan de la tension, de la précision et de la délicatesse de son archer, non pas d’une énergie brutale et massive. La force non violente du Maçon serait-elle dans la délicatesse ?

La corde verticale, peut être vue comme une ascension, un moyen de s’élever vers le ciel, une voie de progression. En escalade elle est le moyen de grimper vers le sommet. Elle aide à gravir les échelons vers l’idéal. Ascension qui dépend en alpinisme, de l’effort, de la persévérance individuelle mais aussi de la coordination et de l’harmonie du groupe.

La corde unit des milliers de fils ensemble, chacun de ces fils étant unique. Or, c’est l’assemblage de tous ces fils différents qui crée une unité et une résistance.

Je fais un parallèle entre la corde à nœuds et le processus qui mène à l’autonomie décrite par la psychologue Nola-Katherine Symor. Lorsqu’un être humain grandit puis à chaque fois qu’il est intégré à un nouveau groupe, à une nouvelle équipe ou à une nouvelle communauté, il passe d’après elle par quatre stades.

  • Le premier stade est celui de la dépendance puisque nous ne maîtrisons pas les codes du groupe, ne savons pas où trouver les ressources, ne sommes pas capables de faire sans l’aide et le soutien des autres.
  • Le deuxième stade est celui de la contre-dépendance, lorsque commence à émerger l’esprit critique et que l’individu se positionne contre. Il rebelle et désapprouve sans être de force de proposition.
  • Le troisième stade est celui de l’indépendance, le moment où l’individu veut faire seul, il définit ses propres règles et comprend les choses par lui-même. La personne est pleinement consciente, elle est responsable de ses choix et de ses actes.
  • Enfin la dernière étape, est celle de l’interdépendance, la personne sait faire par elle-même, mais elle se rend compte qu’elle s’enrichit du groupe, qu’elle a besoin des autres pour être meilleure, pour faire mieux. Elle revient donc en lien avec les autres. C’est l’étape du nous. La personne combine ses talents à ceux des autres, elle se développe dans son interaction à l’autre. C’est le plus haut stade de maturité relationnelle et affective.

Le nœud peut alors être vu comme une attache positive aux autres, un attachement sain et bienveillant. C’est le nœud de la sagesse de Salomon dont l’amour est la clé de l’énigme, l’amour de la « vraie » mère pour son bébé, l’amour inconditionnel, l’amour capable de se sacrifier pour l’autre. Ces deux anneaux entrelacés se retrouvent dans les 3 religions du Livre. Le lac d’amour unit lui les Francs-Maçons. La corde à nœuds serait dès lors une chaîne de Frères et de Sœurs responsables, conscients, aimants, autonomes et interdépendants, tentant ensemble de construire un monde meilleur.

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10 mars 2016 4 10 /03 /mars /2016 21:00

La pensée universaliste des Lumières est encore actuelle

Je voudrais dans cette planche montrer combien les idées issues de la période dite « des Lumières » au XVIIIème siècle sont encore d’actualité dans la période troublée que nous vivons. Ces idées sont un guide pour l’action d’une partie des acteurs de notre société, elles sont combattues par d’autres. Depuis leur origine elles organisent un clivage entre deux visions de la société et malgré les évolutions historiques notables survenues depuis le XVIIIème siècle, la lutte entre les idées pro et anti Lumières continue, à mon sens, de structurer notre conception du lien social.

Pour développer mon propos, je commencerai par essayer de synthétiser ce que l’on pourrait appeler avec Tzvetan Todorov « l’Esprit des Lumières[1] ». Je présenterai ensuite brièvement l’histoire du mouvement des anti Lumières du XIXème siècle puis j’aborderai le nouveau courant des anti Lumières du XXème siècle que je qualifierai de post-moderne. J’essaierai ensuite de montrer comment ces visions pro et anti Lumières peuvent aujourd’hui mieux rendre compte des fractures politiques de notre société que les traditionnels clivages politique gauche - droite. Enfin je conclurai sur la position et le rôle de la Franc-maçonnerie en général et du GODF en particulier sur cette question.

  1. Qu’est-ce que les Lumières ?

Dans son ouvrage « l’Esprit des Lumières », l’historien Tzvetan Todorov caractérise la pensée des Lumières par trois idées clé :

  • L’autonomie de la personne humaine
  • La finalité humaine de nos actes
  • L’universalisme

Essayons de préciser ces trois points qui sont le fondement de la philosophie des Lumières.

L’autonomie

L’autonomie c’est penser par soi-même : « Sapere aude », c’est-à-dire « Ai le courage de te servir de ton propre entendement » c’est ce que nous dit Emmanuel Kant dans son texte célèbre « Qu’est-ce-que les Lumières »[2] écrit en 1784. Kant nous invite à user de notre liberté d’utiliser notre raison. Ne pas subir ou se plier sans réfléchir aux injonctions des prescripteurs de dogmes religieux, à celles des responsables politiques ou à celles des experts dans tous les domaines. Ne pas rejeter à priori tous ce qui nous est demandé, mais examiner toute proposition avec notre esprit critique, se garder des préjugés, ne pas se cantonner dans les traditions par principe. En un mot réfléchir par soi-même et ne pas déléguer notre conduite à ceux qui voudrait la définir à notre place, être responsable de ses actes. Ainsi, toujours dans le même texte, Kant nous dit : « l’usage public de notre raison doit toujours être libre et lui seul peut finir par amener le Lumières parmi les Hommes ». Nous parlerions aujourd’hui de liberté de conscience, condition nécessaire au développement de l’autonomie.

Cette autonomie de l’individu acquise par l’exercice de la raison doit aussi permettre le libre examen des traditions culturelles de son milieu, choisir de les suivre ou de s’en affranchir librement. C’est ce que l’on peut appeler l’émancipation qui est l’un des but de l’éducation. Elle permet à l’enfant devenu adolescent puis adulte d’échapper à toute contrainte communautariste liée à ses origines pour la remplacer par une libre adhésion aux principes philosophiques auxquels il souhaite se référer pour guider sa conduite.

Cette notion d’autonomie issue des Lumières est à la base de la liberté de conscience de tout être humain. La notion de citoyenneté et l’organisation laïque de l’État sont les moyens pratiques qui permettent de l’assurer dans la vie sociale.

La finalité humaine de nos actes

Cela veut dire que l’Homme s’affranchit de la tutelle religieuse dogmatique dans sa conduite et qu’il est capable de prendre en main son propre destin. Entendons-nous : cela ne signifie pas l’abandon de toute croyance, de toute transcendance ou de toute morale fondée sur des convictions religieuses, mais cela suppose que la conduite de la société est faite par les humains pour le bien-être des humains. Elle ne peut donc reposer sur une entité surnaturelle qui aurait autorité pour lui dicter son organisation. En clair c’est le refus de toute théocratie mais aussi la liberté de s’exprimer pour toutes les croyances ou non croyances. Là encore nous voyons que c’est une organisation laïque du système politique qui répond le mieux à cette exigence de la philosophie des Lumières.

L’universalisme

L’universalisme c’est l’idée que par-delà les cultures les plus diverses il existe un fond commun de principes, de valeurs ou d’idées qui peut et doit être partagé par tous les humains, du seul fait qu’ils sont humains. Ils peuvent donc se comprendre et partager leurs expériences malgré leurs différences de cultures et d’origine. Mais l’universalisme va plus loin en reconnaissant que l’être humain a des droits imprescriptibles qui doivent ou devraient s’appliquer quelle que soit la culture. Citons en particulier le droit à la vie (pas de sacrifices humains bien-sûr, mais pas de peine de mort non plus), le droit à l’intégrité du corps (pas de torture bien-sûr, mais pas non plus de mutilations corporelles rituelles), droit à la justice, droit à l’égalité (entre les hommes mais aussi entre les hommes et les femmes). Ces droits universels ont été écrits pour la première fois dans la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, ils sont encore loin aujourd’hui d’être universellement appliqués même s’ils ont été largement repris dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 signée par de nombreux états.

  1. Les anti-Lumières du XIXème siècle

Une grande partie des idées des Lumières furent mises en œuvre par la Révolution Française de 1789 mais elles furent aussi dévoyés par certaines dérives de cette révolution, en particulier au cours de la période dite de la « Terreur ».

Un certain nombre de philosophes prenant argument de ces dérives et considérant parfois qu’elles sont la conséquence inévitable d’une volonté d’universalisme toujours vouée à des dérives totalitaires, ont développé dès le XVIIIème siècle, mais surtout au cours du XIXème siècle un courant de pensée opposé que le philosophe, historien des idées, Zeev Sternhell qualifie d’anti-Lumières[3].

L’idée directrice des philosophes anti-Lumières décrits par Zeev Sternhell est que la conception universaliste de l’homme est une abstraction qui n’a pas de réalité concrète. Selon eux, ce qui fait la vraie nature humaine, c’est l’enracinement dans une culture, une tradition spécifique, un système de croyances portés par un peuple particulier et transmis de générations en générations. Pour eux, il n’y donc pas de fond humaniste universel, il n’y a que des hommes issus de cultures différentes, incomparables entre elles. Ces cultures, qui ont chacune leur génie propre, sont totalement spécifiques, elles ne sont pas hiérarchisables, et l’on ne peut trouver entre elles de critères commun. Les seuls jugements possibles sont internes à chaque culture selon ses propres critères, tout essai de dégager des valeurs humaines qui transcenderaient toutes les cultures serait voué à l’échec.

Parmi ces philosophes, citons Edmund Burke (1729-1797) souvent considéré comme le père du conservatisme Anglo-Américain. Il fut l’un des intellectuels leader de l’opposition à la Révolution Française dont il jugeait le bilan très négatif. Il était pourtant Franc-maçon, initié à la Jérusalem Lodge n°44 à Londres.

On peut citer également Johann Gottfried Herder (1744-1803). D’origine modeste, de brillantes études lui permirent de devenir théologien et professeur. Il reçut l’enseignement de Kant, avant de s’opposer à lui et rencontra Diderot, d’Alembert et d’autres encyclopédistes. Franc-maçon également, il fut initié dans la loge « à l’épée » à Riga, puis fréquenta la loge « Iéna » à Hambourg et la Grande Loge « Royal York » de Berlin. Parfois considéré comme un des pères fondateurs du relativisme culturel, il refuse toute idée selon laquelle la civilisation européenne de l’époque avec les idées des Lumières constitueraient un modèle universel pour toutes les autres cultures. Il s’oppose à Kant sur la notion de « sens de l’histoire ».

Ce courant de pensée anti Lumières privilégie la communauté par rapport à l’individu, la tradition par rapport au progrès. Il se méfie de l’esprit critique et de l’individualisme de l’homme émancipé. Politiquement il est antirépublicain, favorable à un pouvoir fort et à un certain ordre moral fondé sur la religion.

C’est dans cet esprit anti Lumières que s’inscrit également au XIXème siècle le courant d’idées que l’on a appelé le « Romantisme Allemand ». Ce courant philosophique voit le jour en réaction au rationalisme de Kant. Son thème central est que l’approche rationaliste divise, isole, oppose ; à l’inverse, le sentiment, à commencer par le plus noble de tous – l’amour – unit, rapproche, conjoint. Il veut réhabiliter la primauté de la Nature et de l’Esprit de chaque peuple. L’histoire est une épopée à vivre et l’approche politique rationnelle, jugée stérilisante, est à bannir. La Nature devient un organisme vivant qu’il faut préserver dans sa forme originelle[4], ce sont les prémisses de ce que l’on appelle aujourd’hui la « deep ecology » ou écologie profonde. C’est un courant de pensée principalement développé dans le monde anglo-saxon qui place la préservation et le respect absolu de la nature sauvage au-dessus des droits de l’humanité. Le « Romantisme Allemand » prône également une mystique proche du paganisme qui vient ré-enchanter la Nature : l’art repeuple la forêt des bons et des mauvais génies, certains mythes du moyen-âge ressurgissent. Rien d’étonnant si les grandes figures de ce courant sont plus des poètes et des musiciens que des philosophes classiques : Goethe, Schiller et plus tard Wagner.

Cette critique « romantique » des Lumières n’est pas dénuée de fondement : il est vrai que l’approche rationaliste analytique, en cherchant à mieux comprendre les mécanismes tend à disséquer le sujet, elle laisse de côté une appréhension globale où la subjectivité et l’émotion ont leur place.

Cependant cette vision romantique, qui a son intérêt dans l’analyse de l’individu, peut devenir inquiétante lorsqu’elle cherche à s’étendre à la compréhension des peuples, en passant du domaine individuel au domaine collectif et politique.

En effet, elle conduit à penser que les peuples eux-mêmes doivent être considérés comme des sortes d’organismes vivants dotés d’une personnalité propre qui est leur culture. Il y aurait ainsi, par exemple, un « génie allemand », un « génie français » ou un « tempérament anglais » , qui seraient spécifiques et irrémédiablement différents. Sans nier des différences culturelles évidentes issues de l’histoire, une telle approche induit des conséquences dangereuses pour deux raisons. D’abord elle met l’accent sur la spécificité de chaque peuple et donc pointe ce qui les sépare plutôt que ce qui les rassemble, ensuite et surtout, elle tend à considérer ces spécificités culturelles non comme un produit de l’histoire, donc modifiable et évolutif, mais comme une caractéristique intrinsèque de chaque peuple qui serait, en quelque sorte, transmise par les liens du sang et donc immuable.

On voit alors que cette idéologie poussée à l’extrême, conduit inéluctablement au racisme et l’on peut même considérer que le nazisme en a été l’une des conséquences ultimes.

  1. Les anti-Lumières postmodernes du XXème siècle

Le courant anti Lumières conservateur du XIXème siècle que l’on pourrait classer politiquement à droite se voit réalimenté au milieu du XXème siècle par un courant anti Lumières que l’on pourrait qualifier de postmoderne et rattacher politiquement à l’extrême gauche.

L’idéologie de ces nouveaux anti Lumières est sous-tendue par un mouvement philosophique dénommé « postmodernisme » apparu dans les années 1960 dont quelques représentants connus sont les philosophes Jean-François Lyotard (auteur de « La condition postmoderne »), Gilles Deleuzes, Michel Guattari, Jacques Derrida, Michel Foucault et plus récemment Jean Baudrillard et Michel Maffessoli.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une véritable école philosophique puisque ses divers représentants demeurent très divers dans leurs approches, on peut néanmoins distinguer dans ce mouvement postmoderne un certain nombre d’idées directrices qui les opposent aux idées de la philosophie des Lumières ou cherchent à les « déconstruire » selon le terme utilisé par Jacques Derrida.

Citons :

  • L’abandon de la primauté de la raison au profit de la sensibilité et de l’émotion partagée, idée déjà présente dans le romantisme
  • L’abandon de la référence à la science comme le moyen principal de connaissance du monde qui nous entoure au profit de la notion utilitaire, locale et relative de technoscience (voir notamment les conceptions du philosophe Heidegger sur ce sujet)
  • L’abandon de la notion de progrès et plus généralement de « sens de l’histoire »
  • Enfin et surtout la critique de toute vision universaliste de la société au profit d’une exaltation des différences culturelles entre les diverses communautés humaines renvoyées à leurs origines particulières. Est ici repris l’argument de la spécificité et de l’incommensurabilité des cultures qui font l’homme concret. Cette position s’appuie d’une part sur le fondement objectif des découvertes des travaux ethnologiques du début du siècle montrant l’existence de vraies cultures chez des peuples que l’on jugeait primitifs (cf. Claude Levi Strauss) et d’autre part sur la culpabilité subjective des occidentaux en réaction à la colonisation qui avait méprisé la culture des peuples colonisés, soumis et asservis.
  1. Les positions politiques pro et anti Lumières aujourd’hui

Cette prise en compte du respect et de la diversité des cultures, estimable en soi, a dégénéré chez certains en un relativisme absolu qui, au nom de l’antiracisme, refuse toute approche critique des diverses cultures sur la base de quelques principes humanistes universels. C’est ainsi que s’élabore le fondement des positions politiques communautaristes particulièrement développées dans le monde anglo-saxon.

Ainsi, en schématisant un peu, nous voyons s’affronter deux conceptions de la société :

  • l’une privilégie la communauté, le milieu, les racines, les traditions. Elle place la collectivité au-dessus de l’individu, elle préfère la sensibilité et l’émotion à la froideur analytique de la raison. Elle prétend défendre par principe les faibles et les opprimés en s’abstenant de tout regard critique sur leurs croyances ou leurs préjugés, attitude qui serait assimilée à du racisme.
  • L’autre met en avant l’émancipation individuelle, la raison qui permet à l’individu de porter un regard critique sur ses origines, de s’en extraire pour chercher ce qui dans l’être humain est universel. Elle privilégie l’autonomie de l’individu capable de s’affranchir de sa communauté, quitte à verser dans l’individualisme. C’est aussi une vision plutôt tournée vers l’avenir, le progrès et la science qui ont vocation à être universels. Ce courant des Lumières a triomphé à la fin du XIXème siècle et au début du XXème. Abattu par les grands désastres humains des deux guerres mondiales et notamment la Shoah, il a laissé place au doute et au relativisme absolu des postmodernes.

L’opposition ressurgit aujourd’hui entre ces deux visions que l’on voit s’affronter au plan international.

  • D’une part un retour du religieux et des anciennes traditions culturelles souvent artificiellement reconstruites au nom du combat contre un colonialisme occidental qui perdurerait sous une forme renouvelée. La défense de l’universalité des Droits de l’Homme y est vu comme le moyen pour l’Occident de continuer à assurer sa domination sur le monde
  • D’autre part la poursuite des luttes d’émancipation pour la liberté de conscience qui suppose le déplacement du sentiment religieux du domaine de la célébration collective imposée vers celui de l’intime, l’égalité des hommes et des femmes, la liberté des mœurs, autant de sujets qui placent la liberté et les droits humains au niveau de valeurs universelles mais qui sont souvent défendus seulement par les pays occidentaux et encore pas toujours avec la conviction qui serait nécessaire.

Alors comment défendre ces valeurs auxquelles nous croyons sans tomber dans l’idéologie du choc des civilisations ?

La France et quelques autres pays proposent le modèle de la citoyenneté au sein d’un État laïque. D’autre pays mettant en avant le droit à la différence et le refus de toute critique des cultures préfèrent le modèle multi-culturaliste, voir communautariste. Cependant rien n’est figé et à la lumière de l’expé-rience les frontières bougent entre ces deux conceptions qui apparemment s’opposent.

  1. L’esprit des Lumières dans la franc-maçonnerie et au G\O\D\F\ en particulier

On peut dater la franc-maçonnerie telle que nous la connaissons de la constitution de la Première Grande Loge de Londres en 1717. Dès 1719 son Grand-Maître est Jean-Théophile Désagulier, fils d’un pasteur protestant français réfugié en Angleterre à la suite de la révocation de l’édit de Nantes. Jean-Théophile Désagulier est physicien membre de la Royal Society dont le président n’est autre que Isaac Newton. La franc-maçonnerie nait donc sous les auspices de la tolérance en matière religieuse et de l’ouverture aux idées scientifiques, au progrès en un mot à l’universalisme des Lumières.

Schématiquement la Franc-maçonnerie évolue ensuite selon deux directions : d’une part la franc-maçonnerie dite « régulière » qui reste attachée à un fond religieux non dogmatique (le Grand Architecte de l’Univers), plus orientée vers le travail symbolique que vers la réflexion sociétale, d’autre part la franc-maçonnerie dite « libérale » ou « adogmatique » qui admet la non-croyance au nom de la liberté de conscience et qui souhaite non seulement améliorer l’Homme, mais aussi la société.

Le Grand Orient de France qui nait en 1773 fait partie de cette branche adogmatique de la franc-maçonnerie. Dès son origine, il se caractérise par une avancée démocratique unique pour l’époque : les Vénérables seront élus par les Loges. Tolérance religieuse, prélude à la liberté de conscience, croyance au progrès de l’Humanité et à des valeurs humanistes universelles telles sont les grands principes que défend le G\O\D\F\ dès ses origine et qui sont en symbiose avec la philosophie des Lumières.

Aujourd’hui encore nous retrouvons ces thèmes à travers notre constitution et nos rituels.

Notre constitution nous qualifie d’institution « progressive », c’est-à-dire qui œuvre pour l’avenir dans une optique de progrès, elle se donne pour objet la recherche de la Vérité ce qui exclut le relativisme absolu, elle inclut dans ses principes la liberté absolue de conscience, elle travaille à l’amélioration matérielle et morale et au perfectionnement intellectuel et social de l’Humanité, autant de thèmes cardinaux de la philosophie des Lumières.

Notre rituel de fermeture dit que les francs-maçons « prépareront par une action incessante et féconde l’avènement d’une Humanité meilleure et plus éclairée » et que la « lumière qui éclaire le temple doit rayonner sur tout l’univers », voilà bien aussi des thèmes universalistes en accord avec les Lumières.

Mes SS\ et mes FF\ et conclurai donc en affirmant que l’Universalisme des Lumières est dans nos gènes maçonniques.

J’ai dit

Bibliographie

Emmanuel Kant, « Réponse à la question qu’est-ce que les Lumières », 1784

Alan Sokal, « Pseudosciences et postmodernisme, adversaires ou compagnons de route », Odile Jacob, 2005

Tzvetan Todorov, « L’esprit des Lumières », Robert Laffont, 2006

Zeev Sternhell, « Les anti-Lumières », Fayard, 2006

François Jullien, « De l’universel, de l’uniforme, du commun et du dialogue entre cultures », Fayard, 2008

Humanisme n°297, Dossier : « Les anti-Lumières contre la République », Octobre 2012

Sophie Bessis, « La double impasse, l’universel à l’épreuve de fondamentalismes religieux et marchand », La Découverte, 2014

Jean-François Mattei, « L’Homme dévasté », Grasset, 2014

Carlo Stenger, « Le mépris civilisé », Belfond, 2016

Jean Birnbaum, « Un silence religieux, la gauche face au djihadisme », Seuil, 2016

[1] Tzvetan Todorov, « L’esprit des Lumières », Robert Laffont, 2006

[2] Kant, « Réponse à la question qu’est-ce que les Lumières », 1784

[3] Zeev Sternhell, « Les anti-Lumières », Fayard, 2006

[4] voir par exemple Friedrich Schelling (1775–1854) : Système de l’Idéalisme Transcendantal

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