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Notre Loge

  • : Lumières et laïcité
  • : Promouvoir la laïcité et la mixité au sein du monde profane et encourager la création de loges mixtes au Grand Orient de France
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25 septembre 2014 4 25 /09 /septembre /2014 21:00

Les usages sociaux, artistiques, religieux etc… des couleurs  remontent à la nuit des temps. Du paléolithique au néolithique on a trouvé  des rouges des noirs des bruns  des ocres, mais pas de bleu, ni de vert ni de blanc. Plus tard en occident, le faible rôle social et symbolique du bleu dans les sociétés européennes a duré jusqu’au Moyen-Age. L’être humain a difficilement et tardivement fabriqué la couleur  « bleue ». Ceci explique pourquoi en occident le bleu est resté longtemps une couleur de second plan par rapport au noir, au rouge et au blanc, les trois pôles, bases de toutes les sociétés anciennes.

Le rôle social des couleurs se traduit entre autres, mais est surtout perceptible dans la couleur des textiles, des habits en général.

L’univers des tissus mêle étroitement les problèmes matériels (trouver  la base des colorants), les techniques (la chimie des couleurs), les problèmes économiques (l’approvisionnement en matières premières, les enjeux commerciaux), les problèmes sociaux (la classification sociale) de même que les représentations symboliques, idéologiques et esthétiques.

 

DANS LE NORD DE L’EUROPE, les Celtes et les Germains, pour produire le bleu, utilisent les feuilles de la guède, une plante crucifère qui pousse à l’état sauvage sur les sols humides dans de nombreuses régions du nord de l’Europe tempérée. La guède deviendra une plante industrielle économiquement intéressante, nous le verrons plus loin.

Les peuples du PROCHE ORIENT utilisent l’indigo, matière colorante importée d’Asie ou d’Afrique. L’indigo est produit à partir des feuilles de l’indigotier ( buisson d’environ 2m de haut maximum.)

L’indigo est un produit cher car il  vient de loin.

Il est difficile de connaître exactement l’usage des couleurs à travers les civilisations car les traductions d’une langue à une autre ne disposent pas toujours du mot équivalent.

Tant en grec qu’en latin il est difficile de nommer la couleur « bleu ». Par exemple cette couleur n’est pas citée dans les couleurs de l’arc en ciel.

Il a fallu attendre plusieurs siècles pour stabiliser en grec le mot « glaukos » pour le bleu clair et « kyaneos » pour le bleu foncé.

Après tant d’incertitudes les mots « blavus » et « azareus » se sont imposés  dans les langues européennes.

D’où le questionnement des savants évolutionnistes de la fin du XIXème siècle sur la vision des couleurs des sociétés primitives ou antiques (les Romains voyaient-ils le « bleu » ?)  et sur l’aptitude à distinguer les couleurs dans les sociétés techniquement et intellectuellement développées et dites « évoluées » !

Certes les Romains n’étaient pas aveugles au « bleu » mais se vêtir en « bleu » éatit dévalorisant ou signe de deuil ! Avoir les yeux bleus était presque une disgrâce physique et chez la femme, la marque d’une nature peu vertueuse !

 

PENDANT LE HAUT-MOYEN ÂGE, silence et discrétion sur le « bleu » !

Pendant cette période le « bleu » reste  peu valorisé et peu valorisant.

Mais le bleu est présent dans les étoffes mérovingiennes, couleur héritée des Celtes et des Germains.

Le « bleu » est délaissé par les nobles et porté par les gens de petite conditions jusqu’au XIIème siècle. Même le christianisme n’arrive pas à mettre fin à la primauté du noir, du rouge et du blanc.

Il faudra attendre les vitraux du XIIème siècle.

APRES LE XII siècle on commence à parler des couleurs liturgiques et de leur signification : pour le « Blanc », la pureté, l’univers, le « Noir », l’abstinence, la tempérance, le « Rouge », le sang du Christ, la passion.

Il n’est toujours pas question de « bleu » !

Pourtant le « bleu » a déjà commencé sa révolution par le vitrail, l’émail, la peinture et le vêtement.

Il est absent dans les couleurs liturgiques mais présent en mosaïque, dans les enluminures. Il entre dans les fonds lumineux des images, or la lumière c’est Dieu : le « bleu » devient lumière, lumière divine. L’art occidental sera un compromis de XIVème siècles le « bleu » devient couleur à la « mode », les codes sociaux, les systèmes lumière, d’or et de bleu.

Aux  XIIIème et de pensée  et les modes de sensibilité ont changé.

Le « bleu » s’exprime pleinement sur les images et les vitraux qui représentent la vierge Marie, son environnement mais aussi sur la représentation des corporations.

Les maîtres verriers et enlumineurs conçoivent cette nouvelle lumière empruntée aux théologiens.

Le « bleu » va s’exprimer dans la vie sociale. En héraldique naît le « bleu royal ».

Les conséquences seront économiques, l’azur sera plus fréquent dans l’est de la France et le noir dans les autres régions.

La nouvelle vague des « bleus » à partir su XIIIème siècle est favorisée par le   développement de la culture de la guède, véritable enjeu industriel : la pâte extraite des feuilles donnera le « pastel » produit qui coûte très cher.

Les teinturiers du « bleu » prennent la tête devant les teinturiers du rouge, notamment en Flandres (Bruges), en Artois, Languedoc et Catalogne .

 

DU XVème  au XVIIème siècle :

Le bleu, qui est promu couleur maritale, couleur royale, devient le rival du noir dans les vêtements.

L’arrivée de la rigueur du protestantisme mais aussi le souci d’économie dans les cours européennes vont aboutir par les « lois somptuaires et les règlementations vestimentaires » au retour de la couleur noire, couleur vertueuse. Certaines couleurs seront prescrites, interdites car trop chères !

Le noir, couleur vertueuse, digne de la chrétienté, va assimiler le bleu couleur honnête, tempérante, couleur du ciel et de l’espoir. Le gris et le bleu sombre seront tolérés.

 

AU XVIIIème siècle et début du XIXème, le bleu devient la couleur préférée.

C’est la couleur du progrès, de la Liberté, des rêves, des Lumières, du romantisme.

Newton lui a trouvé sa place dans la classification chromatique.

Economiquement c’est la guerre du bleu pastel (guède) contre le bleu indigo ! Finalement c’est l’indigo qui supplantera le marché.

Durant cette période le « bleu » devient le bleu national, militaire et politique. Le « bleu » devient la couleur de la France (encore maintenant avec le maillot des sportifs par exemple) !

Cette France « bleue » possède des racines historiques profondes : le drapeau. Le « bleu » est la couleur la plus importante car toujours visible (même quand le drapeau est en berne).

La Révolution a répandu la cocarde symbole de l’adhésion aux idées nouvelles  et signe de reconnaissance de plus en plus politique (être pris sans cocarde vaut 8 jours de prison et la mort à celui qui arrachera une cocarde !)

Avec le blocus continental Napoléon 1er fera appel aux chimistes pour fabriquer le colorant « bleu ».

En 1829 Charles X, par raison d’économie (mais peut-être aussi pour rompre avec la révolution) ordonna le pantalon de couleur rouge (garance) aux soldats d’infanterie, couleur qui sera responsable d’hécatombes jusqu‘en  1915.

AU XIXème siècle  le « noir » redevient une couleur dominante jusqu’au début du XXème.

Dès le début du XXème la palette des couleurs recommencent à se diversifier et parmi les couleurs demandées, le « bleu » que l’on retrouve dans les costumes, les uniformes, le blazer et surtout une invention qui va inonder le marché : le « jean ».

 

AUJOURD’HUI  Le « bleu »

- se peint : la période bleue de Picasso, le bleu de Klein

- se chante : « Bleu le ciel de Provence » de marcel Amont ou « Le bleu de tes yeux » d’Edith Piaf, « La maison bleue » de Maxime Leforestier

- se fume : les gauloises bleues

BLEU est un mot magique qui séduit, apaise, fait rêver, voyager.

Il fait l’unanimité car il n’est pas marqué comme d’autres couleurs. C’est la couleur des organismes internationaux (les ONG, les casques bleus … ).

 

Ma CONCLUSION  est une question :

Aujourd’hui, que reste-t-il du bleu en Franc-Maçonnerie ?

 

J’ai dit.

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22 mai 2014 4 22 /05 /mai /2014 21:00

Étroite et cachée est la porte qui s’ouvre sur le temple intérieur.

J’aime beaucoup cette phrase. Elle est poétique, bien que ce ne soit pas un alexandrin.

Ce pourrait être un sujet de philosophie pour le baccalauréat ou un atelier universitaire ; ce peut être aussi une sentence issue de rituels religieux : bien des religions peuvent faire de cette maxime une illustration de leur enseignement occulte.

Ce peut aussi être une maxime laïque, digne des écoles de la République, et pourquoi pas des Lumières.

C’est pour cela que j’ai proposé de traiter, ou plutôt d’aborder ce sujet, ici à Lumières et Laïcité.

En fait, je pensais ouvrir cette planche avec une référence à l’ « origine du monde », le fameux tableau de Courbet ; ce tableau qui a fait scandale parce qu’il montre tout, mais pas tout en fait : il montre plutôt que certaine porte intérieure, souvent désirée, reste cachée et probablement étroite, même quand on la suggère et qu’on en montre le chemin. Enfin, cette porte intérieure que Freud aurait peut être délocalisée vers le cerveau…plutôt que plus bas, façon Courbet.

Et justement, le hasard fait que j’ai commencé la rédaction de cette planche alors que j’étais bloqué en Australie après une opération qui a consisté à creuser une porte étroite dans mon crâne, pour accéder à mon cerveau et le sauver… et cette porte a été aussitôt cachée en recousant le cuir chevelu par-dessus ! Je sais qu’elle existe désormais, mais est-ce la bonne ?

Évidemment, je me suis demandé si le temple intérieur siège dans la tête, ou bien ailleurs… Le cerveau n’est pas le seul lieu des sentiments, ni peut être même de l’intelligence.

Et puis, j’ai lu une réflexion pendant que j’étais astreint à la position allongée, à propos des sentiments de culpabilité que l’on voit s’étaler de plus en plus souvent au sujet des malheurs ou des drames qui ont frappé ou frappent notre société ; il y a les génocides (La Shoah n’est pas le moindre), les attentats, mais aussi les crimes dits atroces, ou même des crises moins graves.

De commémorations en marches blanches, on voit des groupes de pression tenter d’instrumenter ce qui devrait relever du recueillement intime et intérieur, en cherchant à culpabiliser des êtres plus sensibles que réfléchis.

Dans ces extériorisations collectives, les participants évoquent leur propre sentiment de culpabilité. Alors, que se cache-t-il derrière cette culpabilité rôdeuse?

La réflexion que j’ai lue est la suivante.

Ce qui se cache peut se simplifier à l’extrême ; on préfère se sentir coupable de la souffrance de l’autre plutôt que de voir sa souffrance. Car, voir sa souffrance, c’est également réaliser sa haine. La reconnaître évite de la mettre en acte dans la violence. Tout homme comprend à la fois en lui, un juif et un nazi. Mais cela demande précisément de remonter à ses racines en suivant le fil conducteur de sa souffrance, sans la nier, car le phénomène Homme, dans toutes ses dimensions, est en nous-même.

Il faut le défricher et donc entrer en nous-mêmes, franchir la porte étroite et cachée, afin que notre parole puisse véritablement s’accorder à nos battements de cœur.

Bref, j’ai commencé cette planche, et je l’ai continuée mais sans plus savoir d’où partent mes réflexions, ni où elles me mèneront …

Étroite et cachée est la porte qui s’ouvre sur l’intérieur.

Ce type de sentence sur le mode incantatoire et elliptique se rencontre fréquemment au fil des rituels mystiques ou laïques ; cela veut être une balise, un repère suscitant chez l’auditeur ou le lecteur, une interrogation et une remise en cause.

Souvent, ces maximes se limitent à quelques mots juxtaposés pour ouvrir du sens, presque toujours au moyen d’un ternaire : « liberté, égalité, fraternité », ou bien « foi, espérance, charité », ou encore, « du sang, de la sueur, des larmes ». Formulées ainsi, elles font appel à note sensibilité ou notre imagination, et constituent autant de phares symboliques éclairant un chemin supposé ou invité, et signalant les récifs et les dangers. Remarquons que pour être porteuses de réflexions induites, le recours au ternaire est nécessaire ; le binaire oppose, conduit à une prise de parti, mais n’induit pas. Mais pour nous, francs-maçons, c’est une évidence.

Quand ces maximes ne sont pas elliptiques, elles deviennent des sentences faites d’une phrase construite ; souvent, ce ne sont que des commandements : « Tu ne tueras point », etc… Elles perdent alors toute la complexité du symbolisme induit ou suggéré.

De ces commandements, il en existe bien plus de 10, puisque tous les pouvoirs temporels ont cherché ou cherchent à appuyer leur position sur des textes socialement normatifs sous des couverts moraux, philosophiques, mystiques, mais finalement moralisant.

Étroite et cachée est la porte qui s’ouvre sur l’intérieur, ne se rattache pas à ce type de sentences, mais plutôt à celles qui restent dans le monde symbolique, et cherchent à susciter des associations d’idées fructueuses pour stimuler notre vigilance.

Elles appellent des réflexions en boucle ou en spirale, et nous ramènent sans cesse à l’objet même d’une quête, initiatique, forcément initiatique. Elles constituent, tant par leur contenu ambivalent que par leur récurrence, un incessant appel à l’éveil et à l’élévation. Une élévation d’abord intime, personnelle, même si elle peut aussi déboucher sur du rayonnement en société.

Elévation, le mot est juste, mais emprunte au vocabulaire sociétal. Peut-être faudrait-il plutôt parler d’approfondissement, d’enracinement, ou de spéléologie intime pour faire plus humble ou humain ; chacun choisira son mot, même ceux qui préféreront chercher la porte étroite et cachée plus bas…

Étroite et cachée est la porte qui s’ouvre sur l’intérieur, est en fait une maxime issue d’un rituel maçonnique, actuellement peu pratiqué, qui fait allusion à la prise de Jérusalem par les Croisés, au milieu de la confusion qui y régnait alors, tant des doctrines que des cultes. Le but de ce rituel est de montrer que dans un monde où règnent désordre et confusion, la liberté de la pensée peut triompher du chaos.

Sa résonance religieuse, mystique ou socratique est forte. Et maçonnique aussi bien sûr.

Les quakers, par exemple, affichent que trouver la lumière en soi est essentiel à la survie elle-même.

Mais pour nous, la porte étroite rappelle indéniablement la porte basse par laquelle nous avons pénétré pour la première fois dans le temple lors de notre initiation, enchainés et courbés, les yeux bandés et le corps à moitié dénudé en signe d’humilité et de dépouillement.

Il faudrait analyser tous les éléments de l’aphorisme, si nous étions des symbolâtres ou symbologues. L’image d’étroitesse de l’ouverture est utilisée pour signifier que le passage est difficile, sélectif et qu’il nécessite effort et volonté. Rien ne nous est donné, tout doit se gagner par la persévérance.

Outre son gabarit réduit, la fameuse porte est en outre cachée et exige donc un travail de recherche et d’investigation, de repérage dans l’espace. Dans Fables de Venise, Hugo PRATT figure dans la Cité des Doges des portes cachées qui permettent d’accéder à d’autres mondes. On peut sans difficulté imaginer notre porte étroite et cachée comme l’ultime issue d’un labyrinthe dont le fil d’Ariane serait représenté par notre volonté et notre intelligence.

Par la réussite du passage de cette ouverture étroite et secrète, l’initié passe du monde extérieur, profane au monde intérieur, « sacré », sacré ce qui veut dire séparé, réservé. Il acquiert un nouveau statut mais aussi de nouveaux devoirs, de nouvelles obligations.

Dans une acception plus collective, car il n’y a pas d’initiation en dehors d’un groupe, l’intérieur peut aussi être interprété comme le temple, la loge, la confrérie, l’Ordre.

Mais s’il est question de collectif, il convient d’aller plus en son cœur, au-delà des apparences et des interprétations premières ; chaque collectivité ne tient durablement, n’est porteuse de transmission, que si un mystère l’anime ; ce qu’on présente en termes mystiques comme une pierre cachée, ou une parole perdue, même dans les sociétés laïques.

Pour les descendants d’Hiram, descendants par la transmission bien sûr, la parole perdue est l’amour. C’est bien le but ultime de toute recherche collective du bien en société.

Et l’amour est au centre de la dialectique individuel-collectif. Il n’y a pas d’amour dans la solitude, mais c’est quand même une démarche solitaire, même partagée.

L’art ouvre les mêmes perspectives : il est entre l’individuel et le collectif, il siège à leur carrefour. L’art, comme recherche de la beauté, est une voie ou une chambre du temple intérieur, car la beauté est une manifestation de l’amour.

Si l’intérieur peut être entendu comme en nous-mêmes, si la porte étroite et cachée est le point de départ du travail d’introspection, du V.I.T.R.I.O.L., qui mène au bien-être, si l’amour nous guide ou nous entraîne, il reste que dans cette épreuve, nous nous retrouvons seuls face à nous-mêmes, lointaine résurgence du cabinet de réflexion. Redoutable épreuve pour l’homme, et pourtant tellement humaine pour qui accepte d’intégrer cette dimension inéluctable de la solitude.

La vie réelle est dans la solitude. L’émotion, le plaisir, le chagrin, le deuil, les séparations sont solitaires même vécus à 2 ou en groupe. Même le voyage amoureux est un voyage en solitaire. Nous avons sans cesse l’illusion que nous ne sommes pas seuls. Comme on est nombreux, on tente de se reconstituer un monde où l’on serait toujours ensemble ; vous savez bien, « tous ensemble, tous ensemble » !

Mais on n’est jamais vraiment « complètement » ensemble. Notre histoire est solitaire. C’est pourquoi nous sommes tous appelés à comprendre, à chercher, ce qui conditionne notre vie réelle.

Et pourtant, quand j’ai écrit ces lignes, je me suis demandé si j’aurais surmonté mon accident de santé sans l’amour de ma compagne, et la vie fusionnelle que les circonstances nous ont offertes pendant 5 semaines. On trouve son chemin intérieur seul, mais pas seul !

Je citerai ici notre frère Jean MOURGUES dans son ouvrage de base, « maçonnerie, individu, communauté ».

« Ce qui est plus raisonnable, c’est l’évidence selon laquelle rien ne serait vraiment aisé, si aucun signe ne nous était adressé. Il est toujours très difficile de trouver un chemin si l’on ne sait pas qu’il existe.

Que sera le signe ? D’où viendra-t-il ? Y a-t-il des signifiants privilégiés, ou n’est ce que le hasard des rencontres, et les signes sont-ils adressés sans que l’intéressé même ne le sache ? »

Ici, je fais une pause ; mon accident de santé, qui s’est apparenté à une mort-renaissance, est-il un signe, inattendu, forcément inattendu, mais appelant à une réflexion intérieure sur ma vie réelle ? Je n’échappe pas à cette recherche de porte cachée dans le temple déjà caché ou j’œuvrais …

Jean MOURGUES poursuit : « Faut-il un Maître ? Toujours ? Et que doit être un Maître ? La tradition enseigne que l’initié n’est parvenu au terme de sa quête que s’il a tué le maître, c’est-à-dire s’il a acquis son autonomie. Il faut reconnaître que ce symbolisme est complexe. Certes, on ne remplace que ce qu’on fait oublier. Certes, il faut tuer le maître en soi, pour atteindre à l’humilité de la perfection. Certes, tant que l’on imite, tant qu’on suit la voie d’un autre, on ne peut prétendre à son propre accomplissement. Mais il y a encore autre chose : la mort du Maître est l’indication symbolique de la solitude et de la responsabilité de l’initié.» La porte étroite et cachée serait-elle donc une voie vers la solitude, mais la solitude maîtrisée, et bien vécue, en société choisie ? J’ai envie de penser cela aujourd’hui.

Le voyage au centre de soi-même est toujours insulaire. Les symboles extérieurs s’effacent et les repères aussi. Il n’y a plus ni temples, ni statues, ni torrents ni montagnes. Les sens extérieurs sont étouffés. La nuit, la nudité et le silence règnent dans l’homme intériorisé à la recherche de sa Lumière ; le passé, le présent et l’avenir s’effacent. Présence et Absence coïncident. La réalité échappe à une expression par la raison, le langage est fluide car la Parole apparaît perdue ; perdue, c’est-à-dire qu’elle est recherchée, de portes étroites en portes étroites et cachées. L’initié ne peut naître qu’au terme de cette démarche de déconstruction-reconstruction. Tout le reste ne constitue qu’épiphénomène et diversion.

La voie initiatique est exigeante, élitiste et pour nous francs-maçons laïques, ne s’apparente ni au clubisme ni à l’agitation exotérique. Je cite maintenant l’extrait complet du rituel :

« Vous voilà lancés sur un chemin avec votre conscience, fruit le plus précieux de l’arbre de vie.

Étroite et cachée est la porte qui s’ouvre sur l’intérieur.

Innombrables les préjugés, les parti pris, les craintes qui en interdisent l’accès.

N’oubliez pas que les vérités découvertes par la seule intelligence deviennent stériles. C’est par le cœur que toutes les semences du Bien sont jetées sur le monde. »

L’initié est en fait invité à rechercher puis à franchir la porte étroite et cachée pour se consacrer à l’élaboration d’une pensée créatrice, à approfondir les causes et les effets, le signifiant et le signifié, le dit et le non-dit.

Vous avez en tête cette autre sentence de nos rituels : « Je suis le même et un autre à la fois. » L’initié se construit en effet derrière sa porte étroite par une accumulation d’expériences. Le professeur LABORIT a écrit que « la conscience se bâtit de seconde en seconde sur l’inconscient qui s’accumule, et n’est jamais tout à fait le même, ni tout à fait un autre. »

Derrière la porte étroite et cachée, le labyrinthe est donc sans fin, et heureusement, du coup, sans Minotaure …

Alors, je devrais finir par le traditionnel « j’ai dit ». Mais finalement, j’ai surtout parlé ; Qu’ai-je dit ? Vous seuls le savez, derrière votre porte étroite et cachée.

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22 mai 2014 4 22 /05 /mai /2014 20:00

INTRODUCTION

 

Le but de cette planche est d’identifier, de nos jours, en France, les ressorts et les manifestations du malthusianisme, sous un angle tant démographique qu’économique.

 

Je commencerai par présenter la pensée de Malthus, économiste et démographe ayant vécu à cheval entre le XVIIIème et le XIXème siècle, puis illustrerai la subsistance des couches sociales les plus démunies en Angleterre sous l’ère victorienne. Cela nous permettra de mieux comprendre le contexte dans lequel Malthus a forgé ses théories.

 

J’aborderai ensuite le néo-malthusianisme, à savoir le courant d’idées issu des écrits de Malthus. Celui-ci s’exprime à deux niveaux : un malthusianisme démographique d’une part, et un malthusianisme économique d’autre part.

 

Enfin, j’achèverai cette analyse par une comparaison entre le néo-malthusianisme et le progressisme.

 

 

 

PARTIE I. MALTHUS ET L’ANGLETERRE AU XIXème SIECLE

 

 

Thomas Robert MALTHUS (1766-1834), économiste et démographe.

 

Thomas Robert Malthus est un économiste issu de l’école classique, contemporain d’Adam Smith et de David Ricardo. Il compose un ouvrage intitulé « Essai sur le Principe de Population » (Essay on the Principle of Population) entre 1796 et 1826.

 

La thèse de Malthus part du constat qu’il y a une asymétrie entre la croissance démographique et la croissance des ressources. La représentation mathématique de Malthus est simple : alors que la population augmente de manière géométrique (1; 2; 4; 8; 16; …), les ressources n’augmentent que de façon arithmétique (1; 2; 3; 4; 5; …). Plus les années passent et plus l’écart sera donc grand entre la population et le stock de ressources. Ainsi, s’il n’y a pas de guerre, d’épidémie ou d’autres événements pouvant freiner la démographie, il en résultera nécessairement une famine qui pourrait durer jusqu’à ce que la population descende en dessous du stock de ressources disponibles.

 

Pour éviter cette issue, Malthus propose alors plusieurs mesures drastiques en vue de réguler la population. En voici quelques exemples : prélever un impôt sur les naissances, offrir des occupations aux couples sans enfants ou, encore et surtout, arrêter toute aide sociale aux nécessiteux.

 

Malthus distingue au final deux types de régulateurs :

  • les régulateurs destructifs : famines, épidémies, guerres,
  • les régulateurs préventifs, c’est-à-dire les mesures visant à limiter les naissances.

 

Par ailleurs, les restrictions qu’il préconise visent très clairement les plus modestes, dont le nombre s’accroît rapidement. Il sait que l’élévation du niveau de vie entraîne une baisse de la fécondité et que, de ce fait, la population aisée est plutôt stable.

 

Il est notable que les pratiques contraceptives se développèrent initialement en Angleterre à partir de 1880, suivant une logique néo-malthusienne. On peut également observer que les idées de Malthus participèrent à l’abrogation des anciennes « Poor Laws » en 1834 (lois sur les pauvres, trouvant leur origine au XVIème siècle et visant tant à réguler les pauvres qu’à leur faire la charité), puis à l’instauration de nouvelles « Poor Laws », qui conduisirent à la création des « Work House » (hospices ou asiles) où les populations les plus fragiles pouvaient trouver refuge. Nous verrons un peu plus loin que ces Work House n’avaient rien de havres de paix.

 

 

L’Angleterre au XIXème siècle

 

La thèse de Malthus ne peut être néanmoins comprise qu’au regard des conditions de vie de l’époque.

 

C’est ainsi que je vous citerai deux passages tirés d’un ouvrage de l’historien Kellow Chesney, intitulé « Les bas-fonds de Londres ». Le premier passage décrit une situation observée autour de 1850. Le second passage décrit le fonctionnement des Work House.

 

Premier passage (situation observée autour de 1850) :

« Environ 188 personnes logeaient dans 4 petites maisons… ; elles disposaient d’une courette dépotoir et de ce qui subsistait de deux latrines. Dans cette courette il y avait aussi une construction, dans un état écœurant, occupée par un couple et leur enfant, ainsi qu’une locataire. Les dimensions de la pièce du rez-de-chaussée étaient d’environ 1,85m de longueur, 1,35m de large et 1,65m de hauteur… Donnant sur la même courette une chambre d’environ 2,70m x 2,70m x 2,10m de hauteur, habitée par un couple et six enfants. Dans un autre meublé proche, il y avait au premier trois petites pièces ; dans la première logeaient seize hommes, femmes et enfants couchés par terre ; dans la deuxième, ils étaient douze, également sur le sol ; la troisième pièce du haut servait de cabinet, le sol étant littéralement recouvert d’excréments. En même temps, dans la même courette mais dans un autre meublé, en plus mauvais état que le précédent, une femme était dans les douleurs de l’enfantement sur un lit ; couché à côté d’elle, un homme dormait apparemment et dix autres hommes, femmes et enfants se trouvaient dans la pièce… Dans une pièce de derrière, dont la fenêtre n’existait plus, utilisée comme dépotoir, trois bambins étaient couchés sur des copeaux. Dans la pièce du dessus, six femmes et enfants couchaient sur le plancher ; dans la pièce du devant, il y avait quatre lits à même le sol, dans lesquels s’empilaient hommes, femmes et enfants, variant de quatre à six occupants par lits. ».

 

Second passage (Work House) :

« En gros, étaient retirés du circuit tous ceux qui n’étaient pas capables de gagner leur vie – ou qui ne le voulaient pas – et cela, en leur refusant tout secours à domicile en vue de les admettre dans un asile. Cette mesure avait pour objectif d’inciter les individus vigoureux à chercher du travail, puis de tarir une source de main d’œuvre bon marché en vue d’encourager l’augmentation des salaires. Pour y parvenir, il était essentiel de rendre l’asile tellement rébarbatif qu’un emploi de manœuvre ou de valet de ferme apparut attrayant.

En fait, l’épreuve de l’hospice devint le sort commun des indigents, dont beaucoup préféraient affronter le froid et la faim que de recourir à cette solution si redoutée.

A l’asile, les époux étaient rigoureusement séparés l’un de l’autre ainsi que de leurs enfants. Même, si par chance, ils prenaient leur repas à des tables voisines au réfectoire, il leur était interdit de se parler car tous, y compris des enfants encore trop petits pour être enlevés à leur mère, étaient astreints à manger en silence leur maigre pitance. Une fois pensionnaire de l’asile, l’indigent ne pouvait recevoir la visite des siens que sur permission spéciale et en présence de l’intendant. Tous étaient logés pêle-mêle dans des salles à peine meublées et quelques fois glaciales. Seules discriminations : l’âge et le sexe. Les hommes étaient employés à casser des pierres, à faire de la filasse ou à réduire de vieux os en poudre.

Mais d’un autre côté, l’obligation pour les enfants d’aller à l’école primaire était une heureuse initiative, encore que les maîtres fissent souvent preuve d’incompétence et de brutalité. »

 

Le but de ces descriptions est de replacer la thèse de Malthus dans le contexte de son époque, à savoir des conditions de vie effroyables pour les plus pauvres. Ce recadrage permet de comprendre la raison pour laquelle Malthus prônait la mise en œuvre de mesures drastiques, dont l’un des objectifs était la résorption de la misère humaine. Cela ne fait néanmoins pas de lui un humaniste.

 

 

 

PARTIE II. NEO-MALTHUSIANISME ET AUTRES THEORIES

 

 

Le néo-malthusianisme démographique

 

Le néo-malthusianisme démographique est un courant de pensée moderne qui vise à stabiliser, voire réduire, la population humaine grâce à la mise en œuvre de politiques dénatalistes.

 

Faisons un état des lieux des régulateurs « préventifs » et « destructifs », selon la thèse de Malthus, à même de réduire la pression démographique.

 

Les régulateurs « préventifs » tendent à se mettre automatiquement en place depuis 1945 dans les pays développés : liberté du couple, épanouissement de la femme, contraception, peur du chômage. L’Allemagne est d’ailleurs confrontée à un problème de dénatalité. La Chine met, quant à elle, en œuvre une politique dénataliste (1 enfant par femme), avec un succès relatif, compte-tenu d’un doublement de la population entre 1961 (660 millions d’habitants) et 2012 (1,35 milliards d’habitants). Les projections indiquent néanmoins que sa population se stabilise et devrait atteindre 1,3 milliards en 2050 (contre 1,65 milliards pour l’Inde). A l’inverse, la France met en œuvre une politique nataliste avec un certain succès.

 

Suivant la pensée de Malthus, les régulateurs « destructifs » ne fonctionnent pas « efficacement » dans les pays du tiers-monde, malgré une espérance de vie bien moindre que dans les pays développées, et ce en raison des progrès sanitaires. Ainsi le taux de reproduction net dans les pays du tiers-monde s’élève à 2,20 contre 1,08 en France.

 

Les projections démographiques nous conduisent à 9 milliards d'êtres humains sur Terre en 2050 et 10 à 11 milliards à la fin du siècle. Cette croissance démographique pourrait avoir comme conséquence la disparition de nombreuses espèces animales et végétales d’une part et un réchauffement climatique accru d’autre part. Jacques-Yves Cousteau voyait dans la surpopulation humaine le principal obstacle à la sauvegarde des espèces.

 

 

Le néo-malthusianisme économique

 

On appelle malthusianisme économique les pratiques de restriction volontaire de la production et de la consommation. Le malthusianisme économique a été pratiqué pour lutter contre les crises dites de « surproduction », comme en 1929. Les produits manufacturés ont parfois été détruits en vue de réduire l’offre et maintenir ainsi les prix.

 

Voici quelques exemples de mesures typiques du malthusianisme économique : un accroissement volontaire du prix de l’énergie et du logement, une réduction du temps de travail insuffisamment compensée par des gains de productivité, un alourdissement des taxes sur la production, la profusion de règlements et de normes, la limitation volontaire de la concurrence, une application excessive du principe de précaution, etc.

 

Les facteurs malthusiens (c’est-à-dire les facteurs économiques dont la mise en œuvre a pour conséquence la restriction de la production et de la consommation) sont, pour une part, inspirés par une écologie politique, plutôt radicale, qui prône la limitation de la consommation et de la production ainsi qu’une taxation accrue des modes de consommation et de production. Je reviendrai plus loin à l’écologie politique, en développant la partie relative aux théories de la décroissance.

 

L’écologie n’est toutefois pas nécessairement malthusienne. Par exemple, si le développement des énergies renouvelables et celui des logements basse consommation énergétique accroissent les coûts donc restreignent la consommation, ils permettent néanmoins l’émergence d’une nouvelle industrie, de nouveaux services et de nouveaux emplois. C’est ce qu’on appelle la croissance verte. De même, si une fiscalité écologique additionnelle à la fiscalité classique est nécessairement malthusienne, une fiscalité écologique se substituant à une fiscalité classique est quant à elle porteuse de croissance. Nous voyons ici apparaître un fort clivage entre écologistes.

 

Il faut enfin observer que les facteurs malthusiens ne sont pas uniquement véhiculés par l’écologie politique. Le caractère restrictif des politiques économiques conduites ces trente dernières années est davantage à mettre sur le compte de lourds prélèvements obligatoires et d’une faible efficience de la dépense publique.

 

 

Les théories de la décroissance

 

Le néo-malthusianisme économique est proche des thèses relatives à la décroissance et y puise ses bases théoriques modernes.

 

Les théories de la décroissance remontent aux années 30 avec Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, qui critiquent tant le productivisme que la quête du progrès technique. L’idéologie se développe réellement en tant que telle à partir des années 60 en réponse aux nuisances engendrées par la croissance et en réaction à une conception du monde qui serait matérialiste, marchande et financière. Des philosophes, économistes ou biologistes comme Nicholas Georgescu-Roegen (inventeur de la décroissance en 1971), André Gorz, Jean Baudrillard, Pierre Rabhi ou Serge Latouche en sont les piliers.

 

De nos jours, l’idéologie de la décroissance est portée par les écologistes radicaux, apparentés à l’écologie politique, tels que Paul Ariès, par exemple. Il existe d’ailleurs un Parti Pour la Décroissance (PPLD), créé en 2005, qui s’est présenté aux élections européennes de 2009 sur la base d’une liste nommée « Europe – Décroissance ». Il faut également ajouter que des états généraux de la décroissance se sont tenus à Lyon en 2006, en réaction au Grenelle de l’environnement. L’idéologie de la décroissance est également véhiculée par les altermondialistes, dont la figure de proue est l’association Attac, et reçoit un assentiment plutôt favorable de la part des Verts, dont Yves Cochet en particulier.

 

Les théories de la décroissance sont en opposition frontale avec le développement durable, qui prône au contraire une croissance verte. Ajoutons qu’elles sont très critiquées par la plupart des économistes, car leur mise en œuvre conduirait à une explosion du chômage, une perte massive de pouvoir d’achat sans parler de violentes crises sociales.

 

 

 

PARTIE III. MALTHUSIANISME ET PROGRESSISME

 

Le progressisme

 

Le progressisme, qui est issu de l’humanisme et du rationalisme, est une approche philosophique de la question du progrès, voire une doctrine. L’approche progressiste véhicule l’idée d’un progrès chronologique et d’une histoire nécessairement progressive, suivant une logique mécaniste. Le progressisme est l’un des aspects de la pensée des Lumières.

 

Nous pouvons décliner le progressisme suivant trois axes :

  • le progrès scientifique et technique, illustré par les découvertes et la diffusion des connaissances, lesquelles engendrent les bonds technologiques et les révolutions industrielles,
  • le progrès économique et social, illustré par l’accroissement des richesses puis leur redistribution, permettant l’accès de tous sinon d’une majorité à des conditions de vie plus dignes,
  • le progrès sociétal, illustré tant par l’égalité homme / femme, que par la libre entreprise. En cela, le progrès est émancipateur et vise à autonomiser et responsabiliser.

 

A titre d’exemple, la fondation Terra Nova, think tank proche du Parti Socialiste, incarne un progressisme de gauche. Elle prône des réformes structurelles d’inspiration sociale-démocrate et se définit elle-même comme « fondation progressiste ». Elle se fixe trois objectifs prioritaires :

  • « favoriser la rénovation intellectuelle de la social-démocratie »,
  • « produire de l’expertise et des solutions politiques opérationnelles »,
  • « inscrire son action dans un réseau européen et international de think tank progressistes ».

Terra Nova a tout particulièrement pour vocation de faire « émerger une doctrine progressiste européenne ».

 

Il est intéressant de noter que la Franc-Maçonnerie se revendique non pas progressiste, mais progressive (« La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive… », article premier de la constitution du GODF). La progressivité est synonyme d’ascension graduelle. Quelle différence y-a-t-il donc en progressivité et progressisme ? Chacun de ces deux termes fait référence à une trajectoire ascensionnelle, mais une distinction peut néanmoins être faite sur un point La progressivité suppose la recherche du progrès, alors que le progressisme est fondé sur la nécessité du progrès.

 

 

 

Malthusianisme et progressisme : deux approches difficilement compatibles

 

Progressisme et néo-malthusianisme sont-ils compatibles ? Sur un plan économique, la réponse est clairement non. Le malthusianisme économique est l’antithèse du progrès économique. Essayons d’établir une comparaison plus globale, qui prenne en compte les dimensions démographiques, sociales et écologiques.

 

Le progressisme peut se définir comme la croyance en une croissance indéfinie des richesses, s’appuyant sur des technologies toujours plus performantes. Dans le cadre de cette approche, la Terre pourrait donc accueillir davantage que 9 à 10 milliards d’êtres humains, peut-être même 20 à 30 milliards, à condition d’une évolution majeure des modes de vie. En cela, le progrès est nécessité. C’est même grâce à un progrès intensif que l’on pourrait affronter les défis écologiques, démographiques et sociaux du XXIème siècle.

 

Le néo-malthusianisme prône au contraire la limitation, à tout point de vue : limitation des naissances, limitation de la production, limitation de la consommation… dans le but de freiner l’impact de l’homme sur la planète. On parle également d’empreinte écologique. A mon sens, le néo-malthusianisme s’accompagne nécessairement d’un progrès technique moindre.

 

C’est ainsi deux visions qui s’affrontent. La première vise à aller toujours plus loin, alors que la seconde vise davantage la stabilisation. Il s’agit là de deux approches antagonistes du développement humain. Laquelle des deux semblent la plus réalisable et la plus souhaitable ?

 

Pour ma part, je ne crois pas dans une évolution néo-malthusienne et ce pour au moins trois raisons :

  • la première est que ce type de trajectoire est contraire à l’histoire de l’humanité, qui s’est toujours inscrite dans la progressivité, malgré les à-coups,
  • la seconde est que le néo-malthusianisme supposerait de gros sacrifices, en revenant à des modes de vie plus frustes et en limitant sévèrement la démographie,
  • la troisième est que cette approche conduirait, tôt ou tard, à l’effondrement du capitalisme, qui est pourtant le seul système qui s’est avéré viable à ce jour, et plus globalement à l’effondrement des structures sociales.

 

 

 

CONCLUSION

 

Si la thèse de Malthus pouvait sembler pertinente au XIXème siècle, dans un contexte très différent de celui dans lequel nous évoluons aujourd’hui, elle apparaît de nos jours dépassée. L’humanité, dans sa grande majorité, ne meurt pas de faim, bien que la misère soit encore présente dans bon nombre de pays. La raison de ce miracle s’appelle « progrès technique » ou encore « révolution agricole ». Cependant, la pensée de Malthus continue, assez curieusement, d’alimenter certains courants idéologiques contemporains.

 

L’approche néo-malthusienne ne constitue, de mon point de vue, une voie ni praticable ni acceptable, sauf à vouloir organiser la survie de l’humanité grâce à une décroissance tant démographique qu’économique. Pour ma part, je m’oppose donc très clairement à cette approche, qui me semble particulièrement dangereuse et rétrograde.

 

Je pense, bien au contraire, que la philosophie progressiste, et en l’espèce le progrès technique, constituent notre seule planche de salut. Deux conditions doivent néanmoins être respectées : maîtriser notre démographie grâce à l’accès de tous à un niveau de développement humain suffisant, puis accepter l’idée d’une croissance économique raisonnée, davantage basée sur la notion de qualité que de quantité. Armatya Kumar Sen, économiste et prix Nobel d’économie en 1998, déclarait : « Le développement humain est au fond un processus de responsabilisation et ce savoir peut être utilisé pour préserver et enrichir l’environnement au lieu de le décimer ».

 

J’ai dit.

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24 avril 2014 4 24 /04 /avril /2014 09:28
Le grand temple du Cao Daï (Tay Ninh, Vietnam)

Le grand temple du Cao Daï (Tay Ninh, Vietnam)

Il y a environ deux mois j’atterrissais à SAÏGON (Ho Chi Minh -Ville) pour quinze jours de découverte du VIETNAM.

Je ne vous ferai pas un récit complet, agrémenté de 1200 photos et d’une vingtaine de films …, je ne tiens pas à me fâcher avec vous !

Cependant parmi des différentes visites plus ou moins classiques ou touristiques telles que les très nombreuse pagodes, le marché flottant dans le delta du Mékong, les innombrables rizières, et bien sûr la baie d’Ha Long  etc…., il y en  a eu une qui m’a particulièrement interpelé et je souhaite vous en parler !

Lors d’un détour par « TAY NINH », ville située à une centaine de kilomètres au nord-ouest de SAÏGON, proche de la frontière cambodgienne et dont je ne connaissais même pas le nom, nous avons visité un édifice religieux, un grand  temple ?, une cathédrale ?, je ne sais pas ! En tout cas un lieu de culte du CAODAÏSME !

Pourquoi « caodaïsme » ? Parce qu’en 1919, un esprit immortel, dénommé CAODAÏ en référence à l’immortel « MAHASATTVA », est apparu à un dénommé NGO VAN CHIEU (nous verrons plus loin qui est ce personnage), sous la forme d’un  « œil  »  qui deviendra le signe distinctif de la secte – ce grand œil fait référence au bouddhisme, à la Franc-Maçonnerie, à l’indouisme, il est omniprésent dans la philosophie caodaïste et couvre les murs et plafond de la « cathédrale » !

 

Que trouve-t-on dans la pratique du caodaïsme ?

Le Caodaïsme,  forme originale de bouddhisme rénové, propose un culte syncrétique et scrupuleusement organisé dont le " Saint-Siège " est établi à Tây Ninh, lieu central où se dresse le " grand temple ".  En ces lieux divins, cohabitent harmonieusement des saints notables, dans une communion qui mêle sans scrupules tous les rites et les mythes inimaginables de la planète.

On  trouve dans le « CAODEÏSME » le culte des ancêtres, pêle-mêle avec le culte des héros, la vitalité de la foi catholique, le prosélytisme des églises évangéliques, le bouddhisme, le taoïsme, le confucianisme,    les génies, les esprits, etc…, avec des rapports variables selon les périodes !

Les fidèles caodaïstes se réfèrent à Cao Dai l'Immortel « Mahabodhisattva Mahasattva ». Le plus souvent, les Caodaïstes utilisent seulement l'appellation " Grande Voie ", sans prononcer l'ensemble de l'expression : " Troisième Salut Universel de la Grande Voie ". Il faut savoir qu'au travers de cette dernière expression, les adeptes font référence à la vision caodaïste de l'histoire religieuse de l'humanité qui distingue trois ères, avec leurs trois " messies " messagers de Dieu : Moïse pour la première période, Jésus pour la 2ème période et Cao Dai, accepté comme nom d'emprunt de Dieu, qui est en quelque sorte le dernier-né venu pour la 3ème et dernière période de l'humanité.

Si les trois philosophies religieuses les plus importantes au sein de la secte sont effectivement le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme, la structure et surtout la hiérarchie empruntent beaucoup au catholicisme : pape, Saint-Siège, prêtres, messe… Sans craindre le moindre anachronisme, les rites caodaïstes s'inspirent fortement de la liturgie catholique. De la même façon les saints – ou plutôt les " guides spirituels " sont bien représentés, on relève qu'une statue du Christ trône aussi dans l'édifice.

Chacun pourra trouver y son compte sinon son idole. Il vénère ainsi Bouddha, Jésus-Christ, Mahomet, Lao-Tseu, Confucius, Moïse, Victor Hugo, Jeanne d'Arc, l'astronome Camille Flammarion, le poète chinois Li T'ai-Po, le lettré vietnamien Nguyên Binh Khiêm, le républicain chinois Sun Yat-Sen, Périclès, Saint-Vincent de Paul, Descartes, Napoléon, Chateaubriand, Churchill, Pasteur, Shakespeare, et même Lénine… Mais ce dernier – et seulement lui – est tombé en disgrâce ces dernières années, disparaissant du panthéon officiel, sans doute à la faveur de la " fin " du communisme soviétique . Cette décision a pu apparaître à certains apparatchiks locaux comme un pied de nez provocateur ; au demeurant, fort malvenu, pour une secte religieuse en quête de reconnaissance officielle…

En fait, les représentants de toutes les philosophies et spiritualités occidentales et orientales, qui ont influencé les Vietnamiens colonisés par la Chine puis par la France, aspirent légitimement à la sainteté d'un point de vue caodaïste.

 

En ce qui concerne  la  Franc-Maçonnerie et le CAODAÏSME ?  :       

On peut lire  dans la définition de «  LA LIBERTE DE CONSCIENCE » (du caodaïsme)

  1. L'Homme, à quelque nation et à quelque classe sociale qu'il appartienne, se reconnaît-il le droit de penser selon sa propre intuition ? Certes, toutes les institutions démocratiques y répondent par l'affirmative. Il faut reconnaître cependant que la conquête de ce droit a coûté à l'homme plus d'un sacrifice. Le célèbre philosophe Italien Giordano Bruno fut brûlée à Rome pour avoir proclamé la liberté de la pensée. Son sublime dévouement à la cause démocratique est un bel exemple pour les penseurs de tous les pays ; ainsi, s'établit dans le monde la libre pensée, mère de la tolérance.
  1. L’homme respecte toutes les croyances d'autrui quand ces croyances ne sont pas de nature à conduire au fanatisme et à l'hérésie.
  2. Enfin, le Caodaïsme ignore l'esprit étroit de race et les patries terrestres, qu'il confond dans l'Unité divine qui embrasse tout l'univers. Il admet comme universelle toute religion fondée sur les révélations de la conscience et du cœur ou sur la nature psychique de l'individu et sur les sentiments d'amour et de solidarité de la société humaine. Il tend ainsi à synthétiser tous les systèmes religieux et philosophiques,...

 

COMMENT est  née cette «  nouvelle religion » ?

Cette nouvelle religion a été créée en 1926 par NGO VAN CHIEU, nous l’évoquions tout à l’heure, c’est lui qui avait vu l’« œil » en 1919 !

NGOA VA CHIEU  était un fonctionnaire membre de l’administration française,  Franc-Maçon initié en … 1919 ! … et grand amateur de spiritisme !

La déclaration officielle est signée par 28 personnes, adressée le 07 octobre 1926 à Monsieur le gouverneur de la Cochinchine , accompagnée de la liste des 247 adeptes .

Rapidement les « dirigeants » de la Grande Voie organisent des missions de propagande, avec l’approbation de la France coloniale. Les deux premiers papes du caodaïsme sont deux vietnamiens secrétaire du gouvernement et secrétaire des douanes, véritables produits de la colonisation (et Francs-Maçons ?) Au cours de la guerre d’Indochine, le caodaïsme atteint son apogée, véritable état dans l’état, avec ses ordres et son armée.

Historiquement, les orientations politiques du " mouvement " caodaïste sont  motivées par un opportunisme plus ou moins stratégique mais toujours démesuré :

Ainsi, l'armée caodaïste a rallié les Japonais de 1941 à 1943. Elle  affirmera sa puissance militaire, à partir de 1943 lors de la lutte contre les envahisseurs…« japonais », puis ralliée au Vietminh jusqu'en 1947, et soutenant finalement les Français jusqu'à la débâcle de 1954.

Cette armée caodaïste sera détruite dès 1954 par le futur homme fort du Sud-Vietnam, un certain Ngo Dinh Diem, pantin des Américains, mais aussi catholique fanatique.

Cela  illustre un parcours de combattant plus mercenaire que nationaliste, ce qui incite constamment les communistes vietnamiens à se méfier d'elle. Dès les années 1960, le pouvoir politique de la secte s'érode rapidement, et ne subsiste aujourd'hui que les croyances et les pratiques religieuses.

Devenues au fil du temps inoffensives, la secte comme la foi qu'elle représente ne constituent plus du tout une menace pour la nation mais représentent plutôt une fenêtre ouverte sur le monde.

 

Quels sont les liens entre Franc-Maçonnerie et Caodaïsme ?

De nombreux Vietnamiens furent initiés en France vers les années 1920. Ce sont souvent des fidèles collaborateurs de la France coloniale, et aussi des fondamentalistes du parti constitutionnel qui préconisaient une lutte pacifique pour l’indépendance du Vietnam. Parmi eux il y eut  un certain Nguen Ai Quoc, initié en 1922  au Grand Orient de France  à Paris, qui passera très vite au Partit Communiste et sera connu sous le nom de Ho CHI Minh.

De nombreux  futurs  caodaïstes  furent initiés dès 1919. Au Viêt Nam, les loges en place ne commencèrent vraiment à ouvrir leur porte aux Vietnamiens que vers la fin des années vingt.

 La peur ou plutôt la hantise d'avoir à côtoyer à niveau égal des "indigènes" aussi évolués – et certains même plus cultivés – que des Français de bon teint issus de la métropole, l'emportait sur la "fraternité" qui devait exister entre maçons.

Il faut souligner que certains Vénérables français de loges du Grand Orient de France (la "Fraternité tonkinoise",  "l'Etoile du Tonkin" et le "Réveil de l'Orient") étaient hostiles à la création de loges dominées par des Vietnamiens, celles-ci risquant, d'après eux, de se transformer en "foyers de combat contre la domination française".

Une lettre datée du 10 janvier 1934 adressée au Grand Maître du GODF en France, dénonçait la loge "Confucius"   Pham Huy Luc était élu Vénérable avec cinq Vietnamiens parmi les huit officiers :

"L'Administration ne voit pas sans appréhension l'élévation d'un Annamite à la présidence d'une loge presque entièrement composée d'indigènes. Tant que ceux-ci conservaient à leur tête un Français, le gouvernement pouvait compter sur le patriotisme de ce dernier pour éviter toute discussion politique antifrançaise au cours des réunions et pour être avisé de tout complot qui s'y formerait".

En décembre 1935 le « carrefour International de la fraternité » fut créé, près de « TAY NiNh » (ville siège du Caodaïsme !), par un groupe de Francs-maçons de pays différents : France ,Vietnam ,Grande Bretagne, Amérique, Japon, Chine.

Son objectif est de « combattre l’impérialisme du Japon à l’Humeur belliqueuse ».

Dans la foulée et avec des membres de ce « carrefour de la fraternité » est créé, en 1936 le FB3-Indochine (FB pour Free Brothers !)

Ce FB3 s’ouvrit aux profanes avec 2 objectifs :

- lutter contre l’impérialisme japonais

- favoriser la décolonisation de l’Indochine.

Ce deuxième objectif déclencha le désaccord de certains français qui en faisaient partie dont un officier nommé Raoul Salan.

La loge « Fraternité tonkinoise » déplora que tant de Vietnamiens aient  eu une conduite antimaçonnique et inhumaine à l’égard des Français de mars 1945 au 19 décembre 1946 (époque où le Caodaïsme soutenait le Vietminh !).

 

CONCLUSION :

Après les grands événements de l'époque (le régime de Vichy interdisant la maçonnerie au Viêt Nam, le coup de force des Japonais du 9 mars 1945, l’épuration anti-vichyste), on ne comptait plus en 1947 qu'un Vietnamien dans les loges qui renaissaient. Certains étaient morts, tués par le Viêt Minh en 1945 ; d'autres étaient passés au combat nationaliste.

Après 1954, des loges maçonniques sous influence anglo-saxonne remplacèrent peu à peu les loges d'influence française, dont la dernière à s'éteindre fut "le Réveil de l'Orient" (au début des années soixante). A la chute de Saigon en 1975, leurs membres ayant quitté le pays, ces loges se replièrent aux Philippines et depuis, la Franc- Maçonnerie n'existe plus au Viêt Nam en tant qu'organisation structurée.

 

En ce qui concerne le Caodaïsme, depuis la réunification du pays en 1975, les dirigeants communistes veillent à ne pas changer l'actuel statu quo et ne tiennent absolument pas à ce que la secte redevienne une réelle force politique ou sociale, capable de susciter des revendications voire des émeutes au sein de la population. Jusqu'à récemment, terres et temples caodaïstes ont été confisqués et certains dignitaires religieux exécutés ou emprisonnés.

Aujourd'hui, le pouvoir entend maintenir son cap, et les adeptes caodaïstes, tout comme les églises protestantes ou celles du bouddhisme unifié, ou encore les autres sectes – notamment celle du delta du Mékong – sont drastiquement contrôlées par le Parti Communiste vietnamien.

J’ai dit.

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10 avril 2014 4 10 /04 /avril /2014 09:23
Le travail, Pierre Puvis de Chavannes, 1863

Le travail, Pierre Puvis de Chavannes, 1863

En Franc maçonnerie la référence au travail est permanente. Chaque fois que nous nous réunissons en loge, nous travaillons de midi jusqu’à minuit et jamais lassés nous proclamons "n'aspirer jamais au repos". Cette ardeur au travail repose sur un engagement librement consenti, et le salaire reçu est symbolique.

J'en viens au thème de mon travail "travail et dignité".

Un rappel étymologique du mot travail: selon le contexte, le travail en latin peut être dit "labor", insistant ainsi sur sa dimension pénible (laborieuse) que suggère l'étymologie "tripalium", terme qui désigne un instrument de torture, mais il peut aussi être dit "opera" rappelant que le travail est l'occasion de se mettre en œuvre, de s'y réaliser.

 

 

Un peu d'histoire

 

Le travail n’a pas toujours été au centre des sociétés comme il l’est à ce jour. Pour les sociétés primitives on parle plutôt d'activités qui consistent à pourvoir à la subsistance du groupe, activités réparties au sein de la communauté, sans nécessairement de notion de hiérarchie sociale ou de projet économique.

 

Les grecs distinguaient le lien politique du lien matériel. Le lien politique était fondé sur l’égalité et l’identité, qui unissait les égaux, égaux issus d’une hiérarchie. La vision hiérarchique chez Aristote va de l’animal à l’esclave, de l’enfant à la femme, de l’homme producteur à l’homme libre pour se terminer par Dieu. La vraie vie est la vie de loisir, concept qui n’a rien à voir avec ce que nous entendons aujourd’hui par loisir, mais valorisation de la pensée, de la contemplation, de la science, activités éthiques et politiques.

A cette époque entre le statut d’esclave et celui d’homme libre existait toute une gamme de statuts intermédiaires ou le travail contraint était assorti sur d’autres plans de libertés plus ou moins étendues. Sous le coup d’un changement politique ou social l’esclave pouvait retrouver la condition d’homme libre.

L’empire romain a fonctionné sur les mêmes principes.
Le recours à l’esclavage n’avait pas une justification économique, comme cela a été le cas plus tard aux Etats-Unis avec la traite des noirs.

 

Dans la tradition judéo-chrétienne le travail est la conséquence d’un châtiment, du péché  originel, la chute de l’homme. Sa punition est consommée dans le travail et la souffrance (…la femme se doit « d’enfanter dans la douleur »).

Au Moyen-Âge être bagnard ou serf c’est travailler toute sa vie pour un seigneur, l’un et l’autre sont des « réprouvés de Dieu », le bagnard est de plus un réprouvé de la société.  Le serf est corvéable à merci, mais contrairement à l’esclave il peut comparaitre en justice, se marier, fonder une famille dans le respect de règles établies.
Pour l’église deux principaux obstacles s’opposent au développement de l’intérêt pour le travail : la condamnation de toute activité exercée en vue d’un gain individuel et la surdétermination de l’au-delà par rapport à l’ici-bas. De nombreux métiers sont déclarés « illicites ».

Pour les protestants le travail est le moyen de racheter l’existence misérable de l’homme pour en faire un moyen de salut. Il a suffit pour cela de faire du travail un acte sacré, de donner à entendre aux hommes que le travail sauve de la perdition, qu’il redonne, sous le regarde de Dieu, une valeur à l’humain. Le travail fait plaisir à Dieu parce qu’il glorifie sa création. Le loisir même sous la forme de la contemplation est répréhensible (les protestants ont toujours eu une certaine méfiance vis-à-vis des ordres monastiques).

L’Occident trouve alors une caution religieuse du travail, une sacralisation de la mentalité besogneuse.

Ainsi progressivement jusqu’au 13e siècle le travail est revalorisé, principalement celui qui a trait à la production agricole, la liste des métiers illicites se réduit, à condition qu’ils participent au bien de la communauté. Le travail permet (déjà) l’ascension sociale des artisans, commerçants, techniciens. Les inventions qui soulagent la peine  commencent à être développées (moulin à vent). Le contexte intellectuel ne permet pas encore de faire du travail une activité essentielle, ceux qui ne travaillent pas, prêtres, nobles et guerriers gardent une place dominante.  Le désir d’acquérir entre dans la légalité parce qu’il est entré dans la moralité; « la terre a été donné à l’homme en partage, qu’il travaille à être riche pour Dieu ».

A l’éthique protestante qui deviendra la morale du capitalisme s’ajoute en Occident les conséquences du tournant moderne de l’orientation du savoir. Si les Anciens avaient conçus le savoir dans une vocation contemplative, les Modernes empruntent une voie plus pragmatique suivant la devise de Descartes selon laquelle la science doit nous rendre « maîtres et possesseurs de la nature ».

La Renaissance est une ère d’inventions techniques, source d’une valorisation sans précédent du champ de la pratique. Cette valorisation va aller jusqu’à installer dans la conscience collective l’idée selon laquelle le travail en tant que transformation de la Nature, est d’abord essentiellement travail manuel.

Dans cette civilisation d’artisanat, il n’y a pas de différence entre le travail de l’artisan, du serf, de l’artiste, tous manipulent la matière, développent une habileté dans le maniement de leurs outils. Les possibilités créatrices sont entre les mains de l’homme. Le travail manuel est l’ingéniosité, l’habileté, la créativité en mouvement. Il laisse libre l’initiative, tout en contribuant à l’enrichissement.

Tout change avec l’arrivée de la machine qui s’interpose entre l’homme et la matière. L’homme se doit de maitriser le maniement de la machine, qui si elle allège sa peine va se substituer à sa créativité. L’ouvrier dit "qualifié" n’a plus l’initiative du produit, il garde l’initiative de la méthode à mettre en œuvre pour obtenir sa réalisation. Son habileté et son expérience sont cependant reconnues.

L’impératif du rendement optimal surgi de l’économie de marché et les évolutions techniques impacte la quantité de travail mais aussi la qualité et cela de manière irréversible. Le travail tend à devenir parcellaire (travail à la chaîne), fragmenté, technique, standardisé et ne laisse plus place à l’initiative. Il est dépersonnalisé, défait de la valeur d’habileté et de reconnaissance qui lui était associé.  Dans ce contexte l’ouvrier vend sa force de travail, se vend lui-même pour un salaire, il ne fait plus une « œuvre » comme l’artisan d’autrefois.

Alors que "les productifs sont automatisés et diminuent inexorablement, les emplois tertiaires ont triplé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni en un siècle, passant de un quart à trois quarts des emplois totaux».
Dans un court essai, publié dans le magazine de la gauche radicale britannique Strike en août 2013, et qui a fait grand bruit, l’anthropologue David Graeber décrit ce qu’il a baptisé le "phénomène des jobs inutiles". A savoir l’aliénation de la vaste majorité des travailleurs de bureau, amenés à dédier leur vie à des tâches inutiles et vides de sens, tout en ayant pleinement conscience de la superficialité de leur contribution à la société. Il cite Keynes, qui en 1930, prédisait que les avancées technologiques permettraient d’ici la fin du XXe siècle de réduire le temps de travail hebdomadaire à 15 heures par semaine. « La technologie a été manipulée pour trouver des moyens de nous faire travailler plus », énonce Graeber. « Pour y arriver, des emplois ont dû être créés et sont par définition, inutiles », donnant en exemple « le gonflement, des industries de service, mais aussi du secteur administratif, jusqu’à la création de nouvelles industries comme les services financiers, le télémarketing, ou la croissance sans précédent de secteurs comme le droit des affaires, les administrations, ressources humaines ou encore relations publiques ». Et il conclut : « C’est comme si quelqu’un inventait tout un tas d’emplois inutiles pour continuer à nous faire travailler.»
L’anthropologue remarque l’existence d’un corollaire paradoxal : plus un travail est utile à la société et moins il est payé.

Comment définir un emploi inutile ? Provocateur, Graeber propose la méthode empirique suivante : « Dites ce que vous voulez à propos des infirmières, éboueurs ou mécaniciens, mais s'ils venaient à disparaître dans un nuage de fumée, les conséquences seraient immédiates et catastrophiques, écrit-il. Un monde sans profs ou dockers serait bien vite en difficulté, et même un monde sans auteur de science-fiction ou musiciens serait clairement un monde moins intéressant. En revanche, il n’est pas sûr que le monde souffrirait de la disparition des directeurs généraux d’entreprises, lobbyistes, assistants en relation presse, télémarketeurs, huissiers de justice ou consultants légaux. Beaucoup soupçonnent même que la vie s’améliorerait grandement. »

 

Avoir du travail est-il un droit?

 

Si aucune référence n’est faite au travail dans la déclaration de 1789, nous trouvons dans le préambule de la constitution de 1946  « il (le peuple français) proclame en outre, comme particulièrement nécessaire à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après... Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ».
Ainsi, le texte fondamental régissant nos institutions, reconnaît non seulement le travail comme un devoir, mais également comme un droit. Cette reconnaissance est primordiale, car elle fait du travail un droit et un devoir, protégés non seulement par les lois de la République mais également soumis au contrôle du juge suprême qui est le juge constitutionnel.
 

 

Le monde du travail respecte t-il la dignité humaine?

Que sous-tend le mot dignité ? Dans ce contexte, je retiens "le respect que mérite quelqu'un ou quelque chose, le sentiment que quelqu'un a de sa valeur". 
Le travail porte en son sein deux volets contrastés : celui de la création et de la liberté d'une part, de même que celui de la contrainte et de la nécessité d'autre part.
Il occupe une place essentielle dans nos sociétés, place amplifiée par sa raréfaction ou son absence. C’est une des bases de l’économie. Le travail fonde une revendication morale et politique de liberté humaine. Il crée une communauté humaine d'intérêts où chacun a sa place et son utilité. C’est un champ important des politiques publiques.
Pour beaucoup le travail est « un moyen de gagner de l’argent » et de subvenir à ses besoins au moins vitaux. Mais la nécessité qui nous pousse à chercher du travail et à travailler dépasse le strict cadre économique. C'est la jouissance entière de la Vie que nous cherchons. Elle n'est pas seulement en dehors du travail, elle est aussi dans le travail. Nous cherchons dans le travail un vrai plaisir, une satisfaction, une reconnaissance sociale, une justification du sens à donner à notre vie. Chacun  travaille pour l’estime de soi, comme le dit Kant, chacun travaille pour soi. Nous avons besoin de nous sentir utile pour les autres et de nous sentir justifié à nos propres yeux. Fondamentalement, et même si cette conscience n’est pas très claire, nous ne travaillons pas seulement pour avoir, mais surtout pour être et nous sentir être davantage. Il ne s’agit donc pas seulement de chercher à gagner sa vie tout en la perdant. Il s’agit plutôt de gagner sa vie, tout en gagnant la Vie. Le travail, comme toute autre activité, est une forme d’expansion de la conscience. 
La société se retrouve broyée par un logiciel de chiffres, d'économies et de rationalité. Le chiffre est devenu vérité, référence absolue pour administrer, gérer de l'humain qui est une ressource (gestion du personnel, direction des Ressources humaines). Tous les terrains sont touchés, même ceux où la présence humaine fait sens, entrainant une décomposition / recomposition des métiers. Je pense aux établissements de santé où la tarification à l'activité (dans une application pervertie), transforment les professionnels de santé en producteurs d'actes de préférence "gagnants", c'est-à-dire fortement rémunérés. L'acte de soin est assimilé à une marchandise, la dimension de soin est évacuée. Les procédures et protocoles s'empilent et se télescopent et laminent le bon sens et l'intelligence du soignant. Le chiffre pour le chiffre dépouille l'humain.

Le champ de la formation n'est pas épargné il se doit d'être utilitaire, axé sur les besoins du marché et offrant la meilleure rémunération possible. On assiste au duel des formations "gagnantes", les grandes écoles, contre les formations "perdantes", voire considérées inutiles, la philosophie, la littérature... Que dire de la place des formations aux métiers manuels.

Le monde du travail semble devenu un bourbier où se succèdent plan sociaux, délocalisation, allongement de la durée du travail, mais aussi allongement de l'entrée au travail,  compétition outrancière… Pour certains c’est le travail labeur, souffrance, souvent tout juste le  « travail contre nourriture », l'émergence de travailleurs pauvres réduits à une vie de SDF.

L'envers du sous-travail est celui du surtravail pour tous ceux qui demeurent en poste, avec son lot de paradoxes, d’exigences, de tensions et de souffrances, entrainant le passage à des actes désespérés (immolation, suicides...). Une façon violente de se faire entendre.
Le chômage, la précarité avec la pauvreté et la désintégration sociale qui s’y associent offensent la dignité de l’homme. L’individu de plus en plus évacué du travail, devient une variable d'ajustement, un produit jetable. Il faut faire plus avec moins et de plus en plus faire toujours plus avec toujours moins.

Chaque homme/femme a un prix, dépouillé de sa particularité, de son humanité, il l'est aussi de sa dignité. Présentées comme une fatalité inhérente aux impératifs économiques, voire comme un bien et/ou une sauvegarde d'un modèle, ces organisations génèrent bien plus qu'une précarité économique, des blessures identitaires, une fragilisation de l’estime de soi. Ces effets sont de plus exacerbés par la place centrale qu'a pris le travail dans l’univers privé.

 

Alors, comment remettre l'humain au cœur de la société, remettre du rêve, de l'espoir, réapprendre à regarder la route et non pas le compteur ? Comment trouver sa juste place, dans un système imprégné de "juridisme" et "d'économicisme", qui bafoue les principes mêmes de la démocratie et de la souveraineté des peuples ? Comment accepter que 67 personnes détiennent autant de richesses que la moitié de la population mondiale la plus pauvre ? Comment croire à une société viable où une grande partie des humains peuplerait le bord des routes et n'auraient pour survivre que l'aumône, à une humanité déjà partagée entre la surconsommation et le dénuement total, se confronterait une humanité aliénée et une autre désœuvrée. Comment stopper la progression d'un séparatisme social sans précédent ? Le progrès a toujours était célébré comme un bien pour l'humanité, la promesse du bonheur et l'avènement d'un monde meilleur. Aujourd'hui le nouvel enchantement reposerait sur les nouvelles technologies, des robots qui "prendront soins" des personnes âgées, où qui deviendraient des compagnons de vie sur mesure?
Il serait étrange que dans une démocratie les citoyens n'aient pas la possibilité de faire entendre leur voix sur des projets et des questions qui affectent gravement leur avenir.

Hannah Arendt écrivait: "l'homme moderne n'est plus capable de penser ce qu'il fait", non pas du fait d'une technoscience hyper activiste face à une opinion publique passive, mais plutôt face à un hyper individualisme qui peu à peu sape les bases de notre démocratie et de notre République.

Je me sens souvent ébranlée dans mes convictions, accablée et même désespérée par ce que je vois et entends et pourrais craindre pour les générations à venir. Mais mon éducation, mes engagements, mon parcours maçonnique ont chevillé en moi, la curiosité, l'esprit critique, la liberté de penser et surtout la confiance inébranlable au pouvoir citoyen qui a su et saura je l'espère, déjouer voire renverser des projets pensés pour lui au mépris des valeurs qui fondent l'humanité, le vivre ensemble entre les humains mais aussi le vivre avec la planète. Il n'est pas question d'aller ou d'arrêter le mouvement de la vie, mais nous pouvons et devons décider du monde dans lequel nous voulons vivre.

Les francs maçons connaissent le pouvoir du verbe et de l'action et se doivent de le mettre au service de la société et de l'humanité. Ne croyons surtout pas qu'il faille renoncer à la liberté pour être heureux.

Je conclue en citant encore Hannah Arendt qui disait: « La fin du travail pour une société de travailleurs est la pire des choses qu'on puisse imaginer parce que nous ne savons plus rien des activités plus hautes et plus élevées pour lesquelles il vaudrait la peine de se dispenser de travail".

 

J'ai dit.

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13 février 2014 4 13 /02 /février /2014 08:00

 

On lit dans Énergies laïques de ce trimestre : la laïcité est un principe de conciliation ; elle nous engage à entrer dans une éthique de la discussion … pour répondre à l’éternelle énigme du rapport entre multiplicité et unité.

La laïcité est donc une conviction paradoxale ; au même titre que la croyance en un Dieu, puisque si un Dieu existe, ce ne peut être que par le cerveau des penseurs, de l’Homme en l’occurrence ; l’Homme a ainsi créé tous les Dieux.

Les évolutions politico-juridiques récentes ou actuelles veulent faire de la laïcité une conviction laïque, au même titre que les convictions religieuses.

C’est bien sûr, en filigrane, l’instillation de l’idée que la laïcité participerait d’un dogme , comme les religions.

Or,  la laïcité a toujours été une méthode, une méthode philosophique bien sûr, et matérialiste car elle vise à inscrire la vie ensemble des groupes humains dans un contexte de réalité sur terre, ici et maintenant. Elle s’inscrit donc dans une vision de progrès humain, c'est-à-dire historique.

A la fin du 14ème siècle, Ibn Khaldoud, disciple d’Averroes,  écrivait : «  l’histoire a un sens ; elle consiste à méditer, à s’efforcer d’accéder à la vérité, à expliquer avec finesse les causes et les origines des faits et le comment des événements. L’histoire prend donc racine dans la philosophie, dont elle doit être comptée comme une des branches. L’histoire a pour objet l’étude de la société humaine, c-a-d de la civilisation universelle. »

Défendre la laïcité, c’est tout sauf prendre le risque d’en faire un dogme : c’est faire vivre les dogmes ensemble, sous l’égide de la philosophie qui seul assure la fraternité universelle. Ce n’est pas non plus dénoncer les dogmes : c’est assurer leur survie, puisqu’ils ont des adeptes, en organisant le cadre de leur espace vital.

La mort des dogmes est de toute façon annoncée avec l’avènement du trans-humanisme, c'est-à-dire de « l’homme augmenté » ; de nouvelles technologies visent à modifier la manière dont l’homme, son corps, et son cerveau, fonctionneront et interagiront avec leur environnement. Elles participent de ce qu’on appelle désormais l’ « augmentation de l’homme » par l’informatique et la techno-médecine. Voici donc l’ère de la « démesure humaine », que seule la philosophie peut ramener à une mesure… et que seule la laïcité peut rendre vivable ensemble.

 

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23 janvier 2014 4 23 /01 /janvier /2014 21:00

 

 

INTRODUCTION

 

« Il n'existe rien de constant, si ce n'est le changement » (Bouddha).

 

La rhétorique politicienne nous abreuve depuis des années de slogans divers et variées prônant le changement. Cependant, il faut constater que ces discours cadrent bien peu avec la réalité.

 

Mon propos vise à faire un état du changement en France de 1789 à nos jours et sera délibérément orienté en direction de la ''chose'' économique. Comment se produit le changement ? Survient-il plutôt dans des contextes de crise, jusqu’à engendrer des révolutions, ou arrive-t-il davantage par voie de réformes ? Quel chemin pouvons-nous prendre pour engager la France sur la voie du changement ?

 

 

 

PARTIE I. L’APPROCHE HISTORIQUE

 

CRISES ET REVOLUTIONS

 

Rien n’est plus essentiel à la compréhension du présent et à l’anticipation du futur que l’analyse du passé. Parcourons l’histoire de France contemporaine en prenant appui sur cinq périodes clés et attachons-nous à identifier leurs déterminants.

 

1. La période préalable à la révolution de 1789, 1776-1789 :trois contrôleurs généraux des finances de Louis XVI, Turgot, Calonne et Necker, se succèdent à la tête de l’État. Turgot démissionne en 1776, chassé du pouvoir par une coalition de privilégiés. Il prônait d’ambitieuses réformes, d’inspiration libérale, qu’il n’a pas pu mettre en œuvre : d’une part, une réforme fiscale, d’autre part la suppression des entraves paralysant l’initiative individuelle et limitant la circulation des biens et enfin la création d’un système d’assemblées provinciales pour contrebalancer le pouvoir royal. Il parvient néanmoins à réduire les déficits grâce à des économies. Necker remplace Turgot en 1777 et préfère recourir à l’emprunt plutôt que de réaliser des économies. Il met timidement en œuvre quelques réformes inspirées de son prédécesseur. En 1786, Calonne est au pouvoir depuis 3 ans et, malgré une volonté réformatrice, les finances sont dans un état catastrophique. La fiscalité, qui s’est alourdie considérablement, est inefficace car elle repose sur une portion trop réduite des acteurs économiques, compte tenu de l’exemption d’impôts de la noblesse et du clergé. A l’absence de réforme fiscale, s’ajoute une cour, dispendieuse et incapable de faire des économies. En 1788, une réforme fiscale est exigée par le parlement. L’attente de réforme atteint son paroxysme. Il y a opposition frontale entre ceux qui espèrent des réformes et ceux qui s’y opposent, car jouissant de privilèges. L’instabilité et l’incompétence politique sont de mise, depuis le départ de Calonne. Le pays est devenu ingouvernable et le pouvoir contre-attaque en promulguant des ordonnances. C’est alors que sont convoqués les États généraux pour mai 1789…

 

2. La révolution de 1830, dite les ''3 glorieuses'', qui aboutit à l’instauration d’une monarchie constitutionnelle :les ferments en sont l’exercice d’un pouvoir autoritaire par le roi Charles X, qui conduit à une crise politique.

 

3. La révolution de 1848, qui aboutit à l’instauration de la 2ndeRépublique ainsi que du suffrage universel, jusqu’alors censitaire : les causes en sont l’incapacité du pouvoir, incarné par Louis-Philippe, à se réformer, aboutissant à une crise économique et politique.

 

4. Plus d’un siècle après, l’arrivée au pouvoir de De Gaulle en 1958 :dans un contexte de crise politique sur fond de décolonisation et d’enlisement en Algérie, De Gaulle, très largement plébiscité, est l’homme providentiel. Il met en place la 5èmeRépublique, qui renforce les pouvoirs de l’exécutif au détriment du parlement.

 

5. Et enfin, la crise politique et sociale de mai 1968 :après des mouvements étudiants, des émeutes et une grève record (plus de deux millions de grévistes), cette crise aboutit aux accords de Grenelle et à la réélection massive de De Gaulle, face à une gauche d’inspiration réformatrice, incarnée par Mendès-France.

 

Il ressort de cette analyse que la France, taraudée par l’attente de réformes qui ne viennent pas, a affronté pas moins de cinq crises et révolutions dans son histoire contemporaine. Cette propension au ras-le-bol et au changement radical n’est-elle pas le signe d’un pays qui peine à se réformer ?

 

MUTATIONS ECONOMIQUES DEPUIS 1945

 

En 1945, le gouvernement provisoire, présidé par de Gaulle nationaliseles secteurs clés de l’économie et les grandes entreprises, crée la Sécurité sociale et les comités d’entreprise. Unvéritable État-providence, allié à un système d’économie mixte, se met en place. L’État domine le secteur de l’énergie puis assure les grandes orientations de l’économie. Il est aussi l'instigateur de grands travaux d'infrastructures et de logements. Enfin, un puissant secteur bancaire se constitue alors que Paris émerge en tant que place financière. Ces nombreuses transformations s’accompagnent d’une libéralisation relative de l’économie.

 

Entre 1947 et 1973 (les ''trente glorieuses''), l’économie se tertiarise et évolue en profondeur. On assiste, au final, à 30 années de mutations économiques et sociales, à la fois rapides et silencieuses, même si cette période n’est pas dominée par une série de grandes réformes. De ce fait, on ne peut pas établir que la France ne tolère qu’un changement de rupture. La société française a montré qu’elle savait s’adapter.

 

 

 

PARTIE II. LA SITUATION DE NOS JOURS

 

EVOLUTION MONDIALE ET SYSTEME DE PENSEE DOMINANT

 

La mondialisation, qui repose sur le développement du commerce et une réglementation plutôt limitée sinon peu contraignante (règles de l’OMC), incarne de façon assez claire le triomphe du courant libéral. Aucun État, mis à part la Corée du nord et Cuba, ne conteste, à tort ou à raison, les bienfaits de l’économie de marché sur le plan de la création de richesses. Ainsi les États-Unis et la Chine (un État communiste) sont devenues les chantres du libéralisme économique. L’Europe n’est pas en reste, même si elle tire moins de bénéfices de la mondialisation que ses partenaires. L’Allemagne, cœur de l’Union Européenne et la zone euro, s’est construit une puissante économie de l’offre basée sur une industrie très spécialisée qui a su comprimer ses coûts, devenant ainsi ultra-compétitive. Les pays scandinaves eux-mêmes, pourtant réputés pour le caractère social de leur modèle, appliquent des politiques économiques d’inspiration libérale.

 

L’État providence mis en place en France pendant l’après-guerre, et perpétré jusqu’à nos jours, apparaît de ce fait de plus en plus décalé au regard de l’évolution mondiale. C’est même devenu un sujet de sarcasme chez nos voisins anglo-saxons (''french bashing'') et un sujet d’interrogation, voire d’inquiétude, chez nos concitoyens. Est-il possible, sinon souhaitable, de maintenir notre modèle économique et social ? Faut-il essayer de l’améliorer ou bien en changer, c’est-à-dire imaginer un nouveau modèle ? Et, dans ce cas, vers quel modèle original pourrions-nous évoluer, sans renier nos valeurs ?

 

PERTE DE REPERES

 

La mutation que connaît actuellement notre société est insidieuse car elle se matérialise très différemment selon les territoires et les catégories sociales. Ainsi, sur un plan territorial, les grandes métropoles poursuivent leur développement et contrastent avec une France rurale, qui se désindustrialise et s’appauvrit. De même, les inégalités sociales tendent à se renforcer. En outre, le problème de fond, au-delà des difficultés de notre société, est que cette situation, où domine l’incohérence, permet difficilement d’établir un constat clair et partagé, entravant notre faculté à nous rassembler donc à enclencher le changement et les réformes.

 

D’autre part, la mondialisation et la financiarisation de l’économie, associée à une inflation réglementaire et normative, créent une complexité sans précédent ainsi qu’un fort degré d’incertitude, nous confinant dans une vision confuse de notre environnement.

 

Il y a enfin une contradiction de plus en plus flagrante entre des marchés mondialisés et notre État-nation ''providence'', semble-t-il souvent réduit à une forme d’impuissance économique. En tant que peuple, nous sommes néanmoins, indépendamment des orientations politiques, dans l’obligation de nous adapter à un monde en mutation rapide (''marche ou crève''). Mais au final, nous ne sommes plus poussés par des idéaux (liberté, justice…), mais par la seule nécessité de lutter pour maintenir tant soit peu notre rang.

 

BLOCAGES DE LA SOCIETE FRANCAISE

 

Notre pays éprouve, depuis maintenant une grosse dizaine d’années, de sérieuses difficultés à s’adapter, à évoluer. En voici, selon moi, les raisons, dont certaines sont relatives aux français et les autres, la plupart en fait, à notre système.

 

Les français me semblent en adéquation avec deux caractéristiques fortes : d’une part, leur caractère créatif, d’autre part, leur difficulté à parvenir à des consensus. C’est ici le second point qui m’intéresse. Ce trait de caractère serait le fruit de notre histoire, basée sur le culte du chef et une forte conflictualité. Au final, nous serions donc ramené à une difficulté à nous réunir autour d’un consensus, situation favorisant les affrontements claniques d’une part et les compromis mous d’autre part. Il faut d’ailleurs bien faire la différence entre consensus et compromis, le premier correspondant au plus grand dénominateur commun et le second, bien souvent, au plus petit. Les avancées de notre pays seraient ainsi davantage le fruit de compromis résultant de complexes jeux d’acteurs, que de larges consensus. En cela, ces compromis ne permettraient d’avancer que par petites touches, sans approche globale. Cela nous amènerait au final à considérer un premier point de vue : changer notre pays supposerait de nous changer nous-mêmes. « Vous devez être le changement que vous voulezvoir dans ce monde.  » (Gandhi).

 

Les raisons imputables à la nature de notre système sont, de mon point de vue, au nombre de cinq :

  • Tout d’abord, le poids des corporatismes, qui tend à paralyser toute réforme. Les corporatismes sont divers et imprègnent toute la société française. Ils sont notamment présents dans les professions réglementées, les fédérations patronales, les syndicats de salariés, les entreprises et les fonctions publiques, etc. Le principe est qu’une corporation défend une rente, souvent chèrement acquise. Je reviendrai sur ce point ultérieurement.

  • Ensuite, la forte centralisation de nos institutions. Il apparaît de plus en plus difficile de mener, dans un souci de cohérence et d’efficacité, une même politique économique et sociale dans les différentes régions de notre pays, compte-tenu de réalités de terrain mais aussi de sensibilités différentes. Ne serait-il pas judicieux de fixer les grandes lignes de façon consensuelle au niveau national, puis de renvoyer la mise en œuvre, et pour partie la production réglementaire, au niveau local ? Il pourrait en être de même concernant le fonctionnement de certaines administrations, privilégiant l’adaptation locale à l’uniformisation nationale. L’aspiration de la Bretagne à jouir d’une plus grande autonomie s’est d’ailleurs manifestée, à tort ou à raison, en novembre dernier.

  • En troisième lieu, le mille-feuilles territorial. Le nombre et l’imbrication de nos collectivités locales (régions, départements, pays, intercommunalités, communautés d’agglomération, communes…) ne sont-ils pas des freins au changement ? Notre pays compte 36 000 communes, contre 8500 en Allemagne et 545 en Grande Bretagne.

  • En quatrième lieu, la multiplicité des opérateurs publics dans des domaines divers et variés (Agence Régionale de Santé, Pôle Emploi, Autorité des Marchés Financiers…) ne conduit-elle pas à une forme d’inertie ? Fin 2012, l’Inspection Générale des Finances recensait une myriade de 560 agences de l’État “créés de façon ponctuelle et sans cohérence d’ensemble” (dixit l’Inspection Générale des Finances), auxquels s’ajoutent de nombreux établissements publics et associations portant le nombre total d’opérateurs à 1244.

  • Enfin, la nature de nos institutions et le clivage droite-gauche. Nos institutions sont basées sur le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, favorisant, à la différence d’un scrutin proportionnel, stabilité d’une part mais logiques partisanes et bipolarisation de la vie politique d’autre part. Ce type de fonctionnement n’aurait-il pas l’inconvénient majeur de conduire à une certaine forme d’immobilisme, voire de sclérose ?

 

Je souhaiterais enfin développer ''la théorie des rentes''. Il s’agit d’une approche personnelle, basée sur un raisonnement purement empirique, qui contribue à expliquer la difficulté de notre pays à s’adapter. La notion de rentier n’est pas ici péjorative, mais traduit une situation économique et sociale.

 

Le principe en est que, dans tout système, il existe une proportion de rentiers, c’est-à-dire d’acteurs économiques tirant une rente plus ou moins grande du système. Dans un environnement ouvert où les individus aspirent à l’équité, le système devient instable dès lors que la proportion de non-rentiers, que je qualifierai de masse laborieuse, excède largement la proportion de rentiers, et ce d’autant plus si les seconds jouissent de rentes importantes (beaucoup de non-rentiers d’une part, peu de ''gros'' rentiers jouissant de bénéfices importants d’autre part). Inversement, le système se stabilise dès lors que la proportion de rentiers égalise, voire se trouve ponctuellement supérieure, à celle représentée par la masse laborieuse (beaucoup de ''petits'' rentiers jouissant de bénéfices réduits). Cette situation ne peut en revanche durer car elle conduit nécessairement à un épuisement des facteurs de production, s’agissant tant du facteur travail (en l’occurrence le travail de la masse laborieuse, qui ne tire guère avantage du système) que du facteur capital (qui finit à terme par être dilapidé, faute de création suffisante de richesses).

 

Ainsi, la révolution de 1789 se produit dans une société où le besoin d’équité s’est fait jour, alors qu’une fraction très réduite de la population (la noblesse et le clergé en l’occurrence) concentre une part confiscatoire des richesses. Ce grand déséquilibre provoque une rupture très brutale, au terme d’un processus politique, économique et social d’une quinzaine d’années environ.

 

La situation actuelle de la France est très différente de celle de 1789, car une proportion importante de français, probablement une majorité, tire une rente substantielle du système (ménages aisés, propriétaires fonciers, bénéficiaires de niches fiscales, professions réglementées, activités économiques financées par de l’argent public sinon issu du paritarisme, activités économiques bénéficiant d’un écosystème favorable en raison d’un lobbying intense…). Le rapport de force entre les rentiers et les non-rentiers pourrait néanmoins s’inverser en faveur des seconds en raison de difficultés économiques et sociales accrues, permettant ainsi d’opérer un mouvement de bascule. Le système, devenu instable, provoquerait alors une inévitable mutation du pays, d’autant plus radicale que la vitesse de bascule serait grande.

 

La question des rentes nous amène également à considérer l’idée suivante : il nous faut accepter de perdre certains acquis catégoriels au profit de l’intérêt général. De même, il nous faut accepter l’idée de prendre des risques, car changement et prise de risque sont corrélés : si tout changement important suppose une large prise de risque, toute prise de risque minimaliste ne peut conduire qu’à un changement de faible envergure.

 

VERS DE GRANDES REFORMES ?

 

Est-on capable de réformer ou devons passer par un changement incrémental se traduisant par une longue série de micro-ajustements ?

 

Réformer signifie former de nouveau. Est-ce améliorer l’ancien ou bien l’abandonner pour créer quelque-chose de neuf ? Schumpeter (économiste de la première moitié du XXème siècle) avait compris que l’innovation et le progrès technique engendrent inévitablement un processus de ''destruction créatrice'' : destruction d’anciennes structures et activités devenues obsolètes dans un premier temps, puis création de nouvelles structures et activités dans un second temps. Nous semblons, en France, souvent plus enclin à protéger les premières qu’à encourager les secondes.

 

Mais quelles grandes réformes engager ? Les points précédents nous conduisent à échafauder cinq réformes structurelles ''mères'' :

  • Une vaste remise à plat des statuts professionnels (professions réglementées, entreprises et fonctions publiques, etc.) ainsi que du paritarisme,

  • Accélérer fortement la décentralisation tout en simplifiant l’organisation territoriale (réduction du nombre d’échelons, clarification des missions),

  • Redéfinir le rôle de l’État, son périmètre d’action ainsi que son fonctionnement (sans nécessairement renier le principe d’un État présent dans de nombreux domaines) puis réorganiser ses opérateurs,

  • La rénovation de nos institutions, en vue de faire progresser la démocratie et favoriser les coalitions droite-gauche, sans non plus prendre le risque de sombrer dans l’instabilité, comme cela a pu être reproché à la 4ème République,

  • Enfin, s’engager hardiment dans l’intégration européenne en accélérant la convergence fiscale et sociale et en acceptant l’idée de perdre partiellement notre souveraineté budgétaire.

 

Pourquoi est-il si difficile de réformer ? La raison est triple :

  • La première réside dans la complexité de la chose. Détruire puis créer est plus difficile que de ''rafistoler''.

  • La seconde, qui est peut-être la plus problématique, réside dans le fait que toute réforme profonde modifie nécessairement la position de chaque acteur ainsi que les rapports de forces en présence, faisant gagnants et perdants. Elle est donc fortement génératrice de résistances au changement : freins cognitifs, freins psychologiques, freins organisationnels, freins sociaux, freins de toute sorte… Les perdants sont généralement les rentiers du système. Nous voilà une fois de plus ramené à la ''théorie des rentes''…

  • La dernière réside dans le fait qu’une réforme structurelle profonde a généralement, sur le court terme, un impact négatif sur la croissance et l’emploi, bien qu’elle engendre, dans un second temps, un rebond qui se traduira par un bénéfice à moyen terme (cf Schumpeter).

 

La raison de fond expliquant la difficulté d’une réforme tiendrait donc à sa complexité, aux résistances au changement qu’elle suscite et enfin aux sacrifices immédiats qu’elle nécessite.

 

Cependant, si tant est qu’il soit techniquement et humainement possible de conduire de vastes réformes en France, est-il de possible de le faire sans esquisser une vision d’ensemble, reposant sur la définition d’un modèle économique et social ainsi que la réaffirmation, voire la modernisation, des valeurs de la République ? Ne doit-on pas au final davantage transformer la France davantage que la réformer.

 

 

 

CONCLUSION

 

Les blocages vu précédemment, tout particulièrement les corporatismes, nous amènent à considérer la nécessité d’établir un projet collectif à long terme, nous permettant de nous affranchir de nos résistances.

 

On peut distinguer, en Europe, trois grands modèles :

  • le modèle ''libéral'', incarné par la Grande Bretagne,

  • le modèle ''productif'', incarné par l’Allemagne,

  • le modèle ''solidaire'', incarné par les pays scandinaves. Ce dernier repose sur une forte cohésion nationale et un niveau de dépenses publiques élevées. Je rappelle toutefois que les pays scandinaves ont adopté une politique économique de type libéral, évitant soigneusement les interférences de l’État dans l’économie.

 

Comment redéfinir le modèle économique et social français et réaliser les nécessaires gains de productivité dont nous avons tant besoin, tant dans le secteur marchand que dans le secteur public ? Sans doute devons-nous abandonner notre vieille doctrine keynésienne, reposant sur une économie de la demande. Mais, fondamentalement, bien répondre à cette question nécessite de réaffirmer et réactualiser les trois valeurs fondatrices de la République que sont la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. Je ne rentrerai pas ici dans ce débat passionnant mais qui mériterait une, sinon, plusieurs planches. Je me bornerai simplement à proposer trois valeurs complémentaires en rapport avec mon propos.

 

Première valeur : Responsabilité. Il me semble que nous pourrions acter le principe de la responsabilité individuelle et collective, tant nécessaire à la cohésion et au bon fonctionnement de notre nation.

 

Seconde valeur : Innovation. Rien ne semble plus indispensable à la réussite de nos entreprises et administrations que l’innovation. Sortir de la compétition internationale par le haut, c’est-à-dire en actionnant le levier ''compétitivité / innovation'', davantage que le levier ''compétitivité / coût''.

 

Troisième et dernière valeur : Éducation. Les trois premières valeurs reposent nécessairement sur un niveau d’éducation élevé et un système éducatif équitable, permettant au plus grand nombre de bénéficier de l’ascenseur social.

 

Ces nouvelles valeurs pourraient nous ramener à un modèle économique et social non pas radicalement différent, mais résolument moderne :

  • un modèle basé sur la recherche et la mise en œuvre sans concession d’innovations de toutes natures dans le plus grand nombre de domaines d’application possibles,

  • un modèle basé sur l’excellence de l’enseignement primaire et secondaire, de nos universités et de nos grandes écoles.

 

Peut-être pourrons-nous un jour associer la France à ce modèle, que nous pourrions qualifier de modèle ''qualitatif''.

 

Ne serait-il pas souhaitable d’actualiser nos valeurs et notre modèle pour engager les réformes nécessaires ? En tant que francs-maçons, ne devrions-nous pas conduire cette réflexion et la porter sur la place publique, de sorte à initier et accompagner le changement ?

 

J’ai dit.

 

Révolution-Française

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23 janvier 2014 4 23 /01 /janvier /2014 20:00

 

Le thème de ma modeste planche est « la solitude dans notre société hyper communicante » ou encore comment expliquer le paradoxe d'une société de l'hypercommunication, qui nous abreuve de messages d'informations mais où le mode de communication virtuel prend le pas sur les échanges intimes…..

Si des expériences mystiques et religieuses ne cessent d’en faire l’éloge dans la société qui est la nôtre aujourd’hui, la solitude apparaît aux yeux de tous comme l’un des plus grands maux : une honte, un désespoir…. C’est sans doute l’une des plus grandes angoisses de notre culture postmoderne.

Je ne suis pas une solitaire, j’ai toujours aimé et désiré être entouré de belles et profondes amitiés. Mais par les épreuves qui ont jalonnées ces deux dernières années de ma vie et les choix qui en ont découlé, j’ai subi la solitude. J’avais peur d’elle, une terrible peur, puis avec le temps, j’ai appris à me familiariser avec elle, et elle est devenue une alliée, un lieu de ressourcement. Oui je l’ai autant détesté que je l’apprécie aujourd’hui.

Je vais vous livrer ce soir certaines de mes réflexions qui sont le fruit de cette année passée, année d’exil et de Franc-Maçonnerie, année de découvertes, de sensations et d’émotions vraies….Je vais donc partager avec vous ce que ma solitude, un temps qui m’est imposé, m’a permis de comprendre...

 

Dans le monde profane :


Depuis l’aube des temps, les hommes éprouvent le besoin de vivre en groupe. Depuis des millénaires, ce regroupement avait un seul but, celui d’assurer la survie de l’espèce, l’instinct de reproduction, dans un environnement qui était hostile. Depuis, l’organisation sociale a été basée sur le groupe.


Nous vivons dans une société qui ne nous apprend pas à être ou vivre seul. Au contraire, durant toute notre éducation, qu’elle ait été dispensée par notre famille ou l’école, cette dernière visait à n’être jamais seul : On oblige l’enfant à jouer avec ses camarades, à faire partie d’une équipe ou d’une bande, à communiquer, à s’intégrer. Lorsqu’il grandit, ses parents et ses professeurs s’inquiètent s’il demeure seul ou s’il préfère la compagnie des livres, des animaux à celle des humains. On qualifie cette attitude d’insociabilité et l’on s’en inquiète…

Alors on nous pousse à être dépendants des autres. On appelle cela l’esprit de famille, la camaraderie, ou le sens de la communauté. Tout semble programmé pour distraire ou rompre les rares moments de solitude.

Mais lorsque que nous devenons plus grands ou adultes nous affrontons inévitablement des épreuves comme des deuils, des ruptures sentimentales, ou tout simplement une perte d’emploi ou une mise à la retraite, et là on a peur, on perd pied : on se retrouve face à cette solitude contrainte que j’évoquais au tout début, et l’on est désemparé…

Guy de Maupassant écrivait : «Notre grand tourment dans l’existence vient de ce que nous sommes éternellement seuls et tous nos efforts, tous nos actes ne tendent qu’à fuir cette solitude ».

Mais qu’est-ce que la solitude ? Si l’on s’en tient à la définition du dictionnaire : " la solitude est la situation d'une personne qui est seule, de façon momentanée ou durable".
Mais je pense que ce n’est pas aussi simple, car il y a plusieurs types de solitude, selon déjà le vécu de l'individu par rapport à ce qui provoque son sentiment d’isolement.

Je commencerai par la situation peut-être la plus familière qui serait la solitude par rapport à l'environnementet se caractérise par l’éloignement des lieux habités. Il peut s’agir par exemple d’un isolement choisit ou imposé comme pour toute personne dont l’activité nécessite sa présence dans des lieux peu fréquenté… le berger en montagne est isolé, mais n’éprouvent pas forcément, ni constamment, une impression de solitude.

Ensuite il y a la solitude par rapport « aux autres »… par rapport à la société.
Je peux évoquer la situation de l’ermite, celui qui a choisi cette vie érémitique ou monacale. Il s’agit là d’un isolement volontaire, où le but est de se retrouver avec soi-même et de faciliter ainsi, une introspection ou toutes prises de recul pour lesquelles une retraite momentanée est profitable. Cette solitude là n’a rien de négatif, cela pourrait même s’apparenter à un goût irrésistible de liberté qui s’éprend de beaucoup d’entre nous. Aujourd’hui outre les retraites dans des monastères, on pourrait citer toutes ces courses autour du monde à pied en vélo en bateau, la vie à la campagne, ou encore les innombrables expériences de l’homme qui le poussent à conquérir des espaces en solitaire….. Nous serions donc aujourd’hui en quête de sérénité, d’une solitude apaisante au milieu d’une société tumultueuse, comme nous mêmes ici en ce moment, dans ce Temple, nous sommes seuls avec nous même à écouter et à prendre la parole avec parcimonie…


Toujours en rapport aux autres mais moins positif, est le choix de celui qui refuse de vivre au sein de la société telle qu’il la ressent
(une fois bien sure écartées les phobies sociales et autres timidités excessives qui demandent d’être accompagné)." Les autres " ne correspondent pas à son idéal et il préfère s’en tenir éloigné pour ne pas être pollué. Dans ce cas, la réaction de la société est beaucoup moins positive, il passe pour un sauvage pourtant le véritable solitaire est celui qui est en paix avec lui-même, mais ce n’est pas celui qui n’aime pas les autres, c’est celui qui apprécie certains autres. Le véritable solitaire a le sens de l’amitié, il sait qu’il a beaucoup à apprendre des autres. Le véritable solitaire est un homme libre, libre de toute attache et de tout dogme.
Puis il y a la solitude à mon sens la plus douloureuse c’est celle qui est involontaire, ou l’on se sent ignoré, rejeté. C’est la solitude des marginaux et des exclus, de ceux qui ne trouvent pas leur place dans la société, dont le retrait les mène jusqu’à la rue, en situation de S.D.F. ou encore de clochard. Cela peut être, aussi et souvent, celle des adolescents qui n’ont plus le statut d’enfant, mais qui ne se reconnaissent pas dans les schémas qui leur sont proposés par nos structures sociales. Si les premiers ont souvent des réactions plus ou moins passives les derniers sont souvent plus violents vis à vis d’un système qui impose des clichés qui ne correspondent pas aux projets qu’ils se sont construits, associés aux difficultés d’intégration dans le milieu du travail, cela serait peut-être aussi une des raisons pour laquelle les jeunes restent beaucoup plus longtemps dans le cocon familial….

J’ajouterais également la solitude par la différence…

L’homme vante l'originalité, s'extasie devant les beautés singulières que la nature engendre mais rejette la singularité de l'être. A toutes les époques les différences ont été gommées. Naître différent, grandir différent c'est vivre en paria, visible ou caché. C'est parce que la différence marque si profondément, dans sa dureté et sa solitude, que le regard de l'autre peut prendre tant d'importance et devenir si intolérable. La différence comme une marque de fabrique, comme une tache indélébile, avec l'infinie solitude qu'elle engendre, parce que l'humain déteste voir ce qui sort du commun.

Les timides, les personnes ayant un physique particulier, les êtres qui ne veulent pas obéir aux codes de masses, ont plus de difficultés pour s’imposer et sont souvent laissé de coté.

Il y a aussi des moments de la vie, marqués par la douleur et la fragilité, dans lesquels on est plus vulnérable à la solitude, l’isolement, la précarité : autant de maux auxquels les personnes en situation de maladie ou de handicap sont exposées de plein fouet.

Le regard des autres et l’incompréhension ne sont hélas pas non plus étrangers à ce phénomène grandissant dans notre société…

Par exemple dans la maladie et dans le handicap.

La solitude du malade peut être physique, sociale, affective et aussi spirituelle. Le malade se sent trahi par son propre corps, mis à l’écart par les autres et parfois même selon ses propres convictions abandonné par Dieu. Le malade est une personne seule pour affronter l’angoisse de sa maladie, la douleur est sienne, même lorsqu’il y a quelqu’un qui lui propose la présence et le partage. Même s’il perçoit que les autres peuvent souffrir avec lui, mais pas pour lui, il « doit assumer dans la solitude la responsabilité de vivre le présent d’une manière digne et de décider de son avenir ». Parfois il s’isole physiquement ou psychologiquement, et il se laisse aller. La solitude est souvent aggravée par le manque de vérité, une « eu-thanasie » anticipée, une mort lente mais non douce sur le plan communicatif. Le résultat est l’isolement affectif et une solitude imposée, difficile à accepter.



Une solitude également pénible est la solitude vis à vis de soi-même. On se retrouve face à soi-même. C'est ce face à face, où plus personne n'existe, qui est terrible.
Des événements comme la rupture, le divorce, le décès d'un être aimé, l’éloignement obligé peuvent nous faire sombrer dans la solitude la plus totale. Nous subissons, la remise en cause totale et définitive des projets que nous avions élaborés pour la suite de notre vie.
On se sent tellement seul, au moment d’un choix, pour lequel rien ni personne ne viennent conforter LA bonne décision. On est absolument seul, au moment d’un choix important qu'il soit volontaire ou contraint, car on le sait bien un choix est toujours un sacrifice. La solitude devient une véritable prison de l’âme quand on ne peut partager ne fusse qu’une pensée, une émotion…


De plus en plus de personnes sont touchés par l'isolement, pourtant, ne sommes nous pas dans une époque d’hyper communication ????….

C’est un véritable paradoxe, le sentiment de solitude est en hausse avec de nouvelles formes. Aujourd’hui les grandes villes comme la campagne sont touchées, ce fléau frappe toute classe sociale et tranche d’âge confondus et s'aggrave avec la précarité de l'emploi et la faiblesse des revenus. En cause, des liens familiaux distendus et des relations professionnelles difficiles, combinés à une explosion de la technologie en termes de communication.

La solitude gagne du terrain et dessine de nouveaux contours sur des motifs d’isolement au cœur même d’une société hyper communicante.

Quelle photographie de notre société, société de consommation, où je consomme, consomme, consomme, tout et rien.


Les raisons sont complexes et outre l’augmentation des familles mono parentales, le chômage, la vieillesse, le handicap… nous voyons arriver de nouvelles formes de solitudes particulières, liées à  notre époque. C’est comme si le rapport particulier à l’autre était devenu encombrant ! Comme si la contrainte que représente la rencontre était devenue supérieure au plaisir qu’elle procure, avec à la clé une culture de l’illusion du lien, le plus souvent à distance entretenu par les réseaux sociaux.

Alors dans ce contexte où en est ma solitude par rapport « aux autres »… explicité au début de mon travail…. Elle se transformerait en  une foule de solitaires… ???
Transports en communs bondés, café du matin plein à craquer, circulation difficile… Nous sommes mêlés à la foule, et pourtant chacun est renvoyé à sa solitude. Nous préférons nous enfermer dans un journal, entre deux oreillettes du baladeur numérique, ou rester rivé à notre mobile à papoter (le plus souvent pour ne rien dire) via SMS… en lien c’est sûr, mais avec des gens qui sont loin, et nous restons en revanche coupés de ceux qui sont proches !!!! Aucune convivialité…. Où est l’espace ouvert pour un échange convivial sans pour autant parler forcément de grandes implications ?


Mais j’en reviens aux réseaux sociaux, paradoxe encore de cette époque hyper communicante où sms, mail, chat, Facebook, et autre Twitter ont modifié en profondeur nos capacités à créer du lien. Bien calé dans nos fauteuils, nous privilégions des relations virtuelles avec le plus grand nombre, aux échanges intimes. « Une illusion de non-solitude ». Tout comme cet engouement que rencontre les sites comme « Copains d’avant » où certains passent des heures à rechercher tel ami d’enfance et qui ne proposent pas même un apéro avec un collègue, bien présent lui pourtant. Nous sommes devenus plus habiles à lier des relations à distance qu’à en nouer de  bien réelles !

La société numérique repose sur ce triomphe technologique, avec, côté logiciel, ses algorithmes et ses protocoles de programmation; et, côté hardware, toute la physique et la chimie appliquées que cela requiert pour fonctionner, circuler, exister, communiquer, bref : exister ….. Et là, les réseaux sociaux se sont développés dans ce monde où « le temps c’est de l’argent », ce monde où nous avons une telle pression afin d’achever tellement de choses, que notre vie sociale s’amenuise et devient de plus en plus exigeante. Alors voilà la technologie, plus simple, pleine d’espoir, impérissable…… nous devenons accro à cette ballade virtuelle, déguisé par les réseaux sociaux qui nous fournissent d’impressionnantes plate-formes nous permettantde gérer notre vie social plus efficacement. Cependant la fantaisie de cette substitution nous prend au piège : nous collectionnons les amis comme des timbres, en mélangeant trop facilement quantité et qualité, en oubliant le sens premier de l’intimité et de l’amitié, nous échangeons des photos et des conversations virtuelles. En faisant cela, nous sacrifions les conversations au profit de fausses connections, et cela devient très paradoxal, nous pensons avoir des amis alors que nous sommes seuls.

Alors en quoi est-ce un problème d’avoir une conversation ? Ça prend du temps ? On ne peut pas contrôler ce que l’on dit ?… Il est vrai que les SMS, les mails, toutes ces choses nous présentent exactement comme nous le souhaitons, nous pouvons effacer ; Nous sommes obsédés par notre propre publicité, passant des heures en ligne à construire notre profil, à optimiser un message avec les bons mots à la bonne place, à choisir les photos où l’on apparaît au mieux, tout ceci dans le but de construire une image attractive de notre personnalité….. Au lieu de créer de vraies amitiés. Nous attendons toujours plus de la technologie et moins des autres, les réseaux sociaux ne modifient pas seulement ce que nous faisons, mais aussi qui nous sommes. Et c’est parce que cette technologie fait appel à ce besoin de plaire aux autres, qui nous rend vulnérable et nous sommes vulnérables… nous sommes seuls mais nous avons peur de l’intimité, alors que les réseaux sociaux nous offrent la possibilité d’attirer l’attention sur les choses que nous choisissons, et sur le fait que nous ne serons jamais seuls…, cela constitue une nouvelle façon d’être qui serait : « je partage donc je suis » nous utilisons la technologie pour nous définir en partageant nos pensées et nos sentiments au moment où nous les ressentons. Tout d’abord, nous simulons des expériences pour avoir quelque chose à partager, pour se sentir vivant, nous nous obstinons à penser qu’être connecté en permanence nous fera nous sentir moins seuls…


Il est vrai que notre société reste centrée autour de valeurs à la hausse… et oui nous montrer vulnérable n’est pas toujours acceptable. À ce titre l’univers professionnel se montre impitoyable ! Outre le fait que « le collègue devient facilement un rival », la généralisation des open spaces n'a pas amélioré la donne. Comble de l'ironie, c'est dans ces espaces ouverts censés inviter à l'échange qu'il ne faut surtout pas parler pour ne pas gêner et de fait nous communiquons par l'Intranet et par messages allant à l'essentiel. Le temps des discussions, des débats est révolu…. Nous n’avons quasiment pas de relations sociales avec nos collègues mis à part un « bonjour »  rapide et des reporting de réunions, alors même devant la machine à café, il est difficile d’évoquer un problème familial, un manque de sommeil, le licenciement d’un compagnon, quand ce n’est pas une rupture…. Alors nous affichons un sourire frileux masquant une humeur bien sombre. De fait il est évidant que demander un service comme du soutien n’est pas si simple…

N’y aurait-il donc pas La mauvaise et La bonne solitude?

Le proverbe « Mieux vaut être seul que mal accompagné » est bien loin d’être suivi et le monde moderne, empli de technologies et vide de chaleur humaine, nous pousse plutôt à rechercher un nid de tendresse ou l’appui d’un groupe. « Tout plutôt que d’être seul » serait donc la devise actuelle ???

La mauvaise solitude est source d’ennui, d’insatisfaction voire d’anxiété, et s’accompagne d’un sentiment d’isolement. On la reconnaît à un besoin parfois compulsif de créer du lien souvent de façon superficielle pour combler ce vide.
Se sentir seule est un véritable fléau disais-je tout à l’heure…. Mais pas forcément, il existe la bonne solitude… « Une bonne solitude est celle où l’on ne s’ennuie pas ». Enfin seul, et tranquille, on est libre alors de se livrer à des occupations qui nous tiennent à cœur, comme de ne rien faire. En bonne compagnie avec soi-même, la solitude n’est plus pesante, et le besoin d’y échapper par de multiples distractions ne domine pas. « Les personnes qui apprécient la solitude sont capables de rentrer en elle-même sans réduire le lien à l’autre. Elles savent en sortir pour accepter un resto, un ciné, ou répondre au SOS d’un ami….

Je pense que oui la vie est relation, vivre c’est être relié, c’est un fait absolument incontournable : nul ne peut vivre hors de toute relation, mais à la seule condition d’être d’abord relié à soi-même, de vivre en relation avec soi même.

C’est en créant une véritable rencontre avec soi dans la solitude que l’on développe sa capacité à nouer des relations authentiques…..
Mais à notre décharge sans doute, notre époque ne nous facilite pas la tâche.  L’accès permanent à la distraction nous coupe de cette bonne solitude. Qui n’a jamais mis la radio, ou la télé toute la journée pour se donner l’illusion de ne pas être seul.

Nous devrions apprendre à nos enfants à s’ennuyer au lieu de les sur-solliciter en permanence, les empêchant ainsi de se confronter à une forme de solitude, fort utile pour une rencontre avec eux-mêmes. Pour lever ou tout du moins faciliter l’appréhension des obstacles en tant qu’adulte…… il faudrait mener une réflexion personnelle : pourquoi suis-je en train de communiquer par Facebook, après avoir refusé la crémaillère de mon voisin ? Quels efforts je fais pour être avec les autres ????

Alors ….. me direz-vous ?
Cet inventaire est loin d’être exhaustif, mais il nous montre que, s’il n’y pas une, mais des solitudes, il n’y a pas, non plus, de solution unique, susceptible de les traiter toutes.
D’ailleurs, existe-t-il une solution ? Nous pouvons en douter…. Même si « La solitude, ça n'existe pas », comme le dit la chanson de Gilbert Bécaud, c’est pourtant « un sentiment » auquel nous nous efforçons tous d’échapper en meublant nos craintes des vides physiques, mentaux ou émotionnels.


Dans le sacré :

 

Tous ici que nous sommes, nous avons vécu l’initiation maçonnique, parcours tout d’abord solitaire, lors du recueillement dans le Cabinet de Réflexion. Cette solitude est une invitation à la découverte de soi-même, à la découverte de cet être qui n’est pas seulement un produit de la société, de la famille, de l’histoire mais un être singulier et particulier : moi, nous.

 

Le précepte inscrit au fronton du Temple de Delphes consacré à Apollon, « Connais toi toi-même, et tu connaîtras l’univers et les Dieux », prend, dans ce thème de la solitude, toute son ampleur, précepte dont on oublie toujours la suite : « Tu sauras, tu expérimenteras que tout est en toi, que tu es immense, que tu héberges l’univers, que le divin est ta véritable nature. Au non de quoi tu te découvriras véritablement Libre et non pas supérieur ou inférieur aux autres ».

L'injonction reprise par Socrate était justifiée (en son temps) car pour tout événement heureux ou malheureux, un dieu en était responsable ; la mythologie régnait. Les hommes oubliaient de se mettre en cause.

Cette incitation à s'interroger sur soi-même ne s'impose pas moins aux temps modernes. Les fanatismes religieux persistent, et de plus nos esprits sont tellement accaparés par la Science, par la Technologie que nous en négligeons la réflexion sur la condition humaine.

Bien entendu, si les hommes se connaissaient, il ne serait pas nécessaire de leur recommander de se connaître et s'il était facile de se connaître, le message d'Apollon ne serait pas devenu celui de Socrate. Il ne suffit pas de se regarder pour se voir. L'inscription du temple de Delphes doit sa signification philosophique à la notion qui distingue en elle « être » et « paraître » ou plutôt « être » et « se paraître ». Se connaître n'a jamais voulu dire: se voir tel que l'on se paraît être. C’est une invitation à chercher ce qui cache l'homme à lui-même pour l'amener à se connaître tel qu'il est. J’y ajouterai également notre nécessité “d’être reconnu pour tel”. C’est plus qu’une nécessité, c’est un besoin vital. De nos jours si un individu n’est pas reconnu par sa société, ses proches, sa famille, son entourage social et professionnel, il est comme un paria mis à l’ écart et de ce fait rejeté totalement de la société. Ainsi si je veux vivre « heureux », accepté et “reconnu pour tel”, je dois impérativement dépendre des autres et surtout dépendre du regard qu’ils auront sur moi.

J’en reviens au précepte dont Socrate ne retint que « connais-toi toi-même », il nous enseigne à bâtir notre solitude comme à tailler notre Pierre. La Solitude est une épreuve sur la voie initiatique que nous avons empruntée. La Solitude est donc un départ, un voyage qui ne finit pas, une épreuve que l’on aborde différemment, qui nous permet d’acquérir des qualités et des vertus telles que le courage, la patience, la force, l’endurance, la persévérance, la bienveillance et l’humilité.

Chaque instant de solitude qui s’offre à nous doit être vécu comme un nouvel apprentissage de la vie, dans ses limites comme dans ses moments de grande plénitude. Même si notre besoin de l’autre est très grand, il ne peut remplir notre vide et nous apporter la sécurité que nous recherchons.

Sartre écrivait en 1964 « L'enfer c'est les autres » mais a-t-on bien compris ? Est-ce nos rapports avec les autres qui sont toujours empoisonnés, tordus ou viciés ? Ou alors tout autre chose comme l‘impact de leurs regards sur nous, leur jugement hâtif sur nous même…. C'est à travers eux et nos réactions que nous apprenons à découvrir vraiment notre personnalité, pour ensuite cibler nos lacunes et réaliser un travail sur nous-mêmes.

L'enfer, ce n'est pas les autres, c'est le fait de se sentir SEUL, exclu, jugé ou ridiculisé par ceux-ci.

Victor Hugo, lui, a écrit que l’enfer est tout entier dans le mot SOLITUDE…. mais il a également écrit cette autre citation : « La SOLITUDE, est bonne aux grands esprits et mauvaise aux petits. Elle trouble les cerveaux qu’elles n’illuminent pas !» Il y aurait donc une solitude utile, comme il existe un silence propice au progrès. Me voici donc plus éclairée sur les efforts imposés à l’apprenti.

L’apprenti, par le silence imposé ne communiquera qu’avec lui… La prise de parole le détournerait de sa première mission : se connaître avant tout... Le silence intérieur c'est s'écouter vivre, se connaître, s'analyser; c'est le « connais-toi toi-même », on y revient donc… mais ce silence n'est pas solitude, il n’est pas vécu, en solitaire. C'est un silence partagé avec tous ses frères et sœurs. Nous éprouvons des ressentis, des idées, apprenons à gérer nos émotions et nôtre système de valeurs. Nous profitons de ce silence imposé, pour apprendre à dominer les mots par la pensée, c’est un moment intense de la recherche de notre soi et de notre propre rapport à l’existence. Cette période d’apprentissage consistant à écouter les autres est de fait un réel travail offert à l'Apprenti.

La solitude est pesante d’accord, mais si l’on n’est pas résigné et que l’on fait appel à notre courage elle peut se faire pensante….. Et en est moins pénible, voir appréciée et appréciable.

A mon sens le Franc-maçon doit être en relation avec les autres, il ne peut pas se contenter d’un travail purement théorique,  et doit porter au dehors l’œuvre commencée ici même.Il doitpartager les fruits de son travail. Si le Franc-maçon progresse d’abord individuellement, il n’est pas un ermite. Il n’évolue pas dans la solitude, mais au milieu des autres, avec les autres, par la communication, la tolérance, l’écoute…. En recherchant ce qui unit plutôt que ce qui sépare.

 

En conclusion

Je dirais que la solitude a deux côtés : Contrainte, elle étrangle, abat et décourage, Volontaire, elle fait grandir et purifie …..La solitude n’est pas une fatalité. Très souvent, les individus se comportent vis-à-vis d’elle de manière passive. Ils se plaignent que l'on n'aille pas vers eux mais ils ne vont pas vers les autres, attitude qui pourrait peut-être inverser la tendance… Des moyens existent aujourd’hui, de nombreuses initiatives émergent, entre les fêtes des voisins, les cafés thématiques, les jardins partagés ou les associations de colocation, comme autant d’opportunités à vivre « tous ensemble » mais plus que de la solitude ce sont des moyens de sortir de l’isolement…. Parce que, malgré ceux qui nous aiment et nous entourent, on est seul dans la vie, seul devant la souffrance, seul devant la maladie, seul devant la mort, simplement parce que nous sommes seuls à savoir vraiment ce que nous ressentons et ce que nous sommes vraiment.

La solitude n’est pas qu’une situation mais c’est surtout un sentiment, une émotion. C’est un sentiment qu’on n’éprouve pas seulement quand on est seul, il peut nous gagner alors qu’on est en plein milieu d’une foule.La solitude, comme l’amour, la peur et autres sentiments difficiles à faire partager, sont au fond de nous et conditionnent notre comportement social. Sa prévention n’est donc pas purement dans notre organisation, dans notre société, mais dans notre attitude.

Tant que l’on refusera d’accepter une certaine solitude, en la dissimulant par des divertissements, ou autre subterfuges sous prétexte d’inadaptation sociale, nous en aurons toujours peur…. Peur de ce qu’elle représente, peur de la perte, peur de mourir car la solitude, nous renvoie à la plus grande peur de l’homme : la Mort.

C’est toute l’approche de la solitude et la manière de la vivre quand elle se présente, imposée ou choisie, qu’il convient d’appréhender, d’accueillir, pour découvrir son autre soi et mieux aller à la rencontre de l’autre.

Cette année de Franc-Maçonnerie à eu une résonance toute particulière pour moi, car elle s’est conjuguée avec une fuite personnelle loin des miens, vers une terre inconnue, un nouveau job et une solitude subie comme une évidence…Je me suis souvent sentie seule, terriblement seule …. Mais aujourd’hui je perçois l’importance de me ressourcer avec moi-même afin de remettre de l’ordre dans les événements passés et préparer les étapes suivantes…. et si, encore aujourd’hui, il m’arrive de me sentir seule, c’est que je ne m’ennuie que d’un manque de stimuli et de sollicitations extérieures.

Alors j’ai envie de dire que Lasolitude, c’est de s’ennuyer en sa propre compagnie…  Et sinous ne sommes pas capable d’être seuls, nous ne connaîtrons que … la solitude.

J’ai dit…

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9 janvier 2014 4 09 /01 /janvier /2014 21:00

 

Que signifie dans notre environnement de société postmoderne actuelle « le sacré et son espace » ?

Comme je l’ai entendu dire par un frère, un ami, dans un travail ayant pour sujet la tradition : « Il arrive souvent que la fréquence d’emploi de certains mots est inversement proportionnelle à la clarté de leur contenu ».

 

On ne peut plus clairement s’interroger sur : comment aborder le sujet.

 

C’est précisément cette difficulté d’approche qui en aiguisant ma curiosité, m’a ensuite fait regretter d’avoir choisi un sujet dont la problématique se confronte autant aux différents courants de la pensée spirituelle et de la réflexion humaine.

 

Ainsi que ne le dit pas le titre, le champ de mon travail s’est attaché en premier lieu aux mots et au vocabulaire.

 

Le mot « espace » est d’une définition abordable, car il fait appel à une notion certes généraliste, mais d’usage actuel et moderne dans ses différentes acceptions.

 

De son origine latine « spatium » il en a hérité les définitions les plus variées, dimension ou domaine, avec ou sans limite, abstraite, physique, géométrique, onirique, relationnelle, sociale, et bien entendu spirituelle.

 

Le mot « sacré » est le plus souvent relatif au besoin que développe l’être humain à donner un prolongement et une dimension à sa croyance religieuse.

 

Aussi lointaines que puissent être nos racines, la même question s’est toujours posée.

 

Une société humaine existe-t-elle sans espace sacré ?

Quelques uns comme Frédéric Lenoir (philosophe, écrivain, journaliste spécialiste des religions) prétendent que c’est au paléolithique moyen qu’est apparu le sentiment religieux (il y a environ 45000 ans).

 

L’anthropologie comme la philosophie situent le sacré dans le domaine du spirituel, des mythes et de la croyance en des .pouvoirs supérieurs.

 

En psychanalyse, dans « Totem et Tabou » Freud, aborde la notion de tabou, c'est-à-dire de prohibition, en lien direct avec la notion du sacré. Cette ambivalence résulte des interdits destinés à protéger la tribu, héritière de la horde originelle, du risque de disparition.

 

Ne pas tuer l’animal tabou, ne pas avoir de rapports sexuels avec les femmes du même totem, donc de la représentation du protecteur de la horde.

 

Il me semble que le rapport au sacré fut d’abord un vécu mobilisant en même temps l’esprit et l’intelligence, l’expérience et la pratique de la vie quotidienne.

 

Il s’en suivit probablement des troubles d’ordre émotionnels profonds dont l’intelligence humaine chercha la réponse dans le domaine du mystérieux, du non-compris, du surnaturel donc, et de l’existentiel (la mort, la douleur, la peur, la vie).

 

Dans notre civilisation, le rapport des êtres humains au sacré peut être de plusieurs ordres

 

  • s’exercer dans le cadre d’une organisation cohérente, d’une institution ordonnée, d’une vie réglementant le mode de pensées, de vie, d’affect, que je nomme religieuse.

 

  • ou dans le cadre d’une recherche personnelle sublimant le développement spirituel

 

  • ou par une approche philosophique, «  le sacré se manifestant en opposition au profane suivant des modalités culturelles et humaines différentes selon les origines religieuses et la nature des croyances.

 

 

En abordant le sujet de l’espace sacré, je m’éloigne volontairement de l’approche rationnelle, de toute approche fonctionnelle de l’objet « espace ».

 

Le sujet n’est alors envisagé que par la pensée et le signifiant symbolique.

 

L’espace sacré est un objet symbolique, dont l’apparence ne reflète pas l’identité spirituelle, à l’instar des outils en Franc-Maçonnerie.

 

Les espaces qui offrent le passage du monde profane au monde sacré ont été identifiés bien avant l’invention des écritures, par des manifestations artistiques et chamaniques qui très probablement furent des sortes des proto-religions.

Suivirent les divinités des mondes mythiques légendaires, les interventions des mondes divins, des panthéons.

Avant et depuis l’antiquité des lieux ont été sacralisés et des rituels ont été créés par des sages, des prêtres, des initiés, pour maintenir des usages et préserver les vertus invisibles.

 

Car de même que les lieux, les représentations, les symboles sont apparus, des hommes enfin ceux qui détiennent la connaissance (les gnostiques notamment) ont émergés.

 

Une hiérarchie est apparue, les guides, ceux qui savent, ont créé des rites fondés les souverainetés sacrées, fait obéir les profanes et initié d’autres guides.

 

Parmi les rites anciens, ont survécus dans les religions modernes des rites d’initiation, de passage du profane au sacré comme le baptême, les rites alimentaires dans la religion judaïque.

 

Ces manifestations fonctionnent dans les temps et dans les espaces très circonscrits de manière toujours intemporelle et ritualisée pour maintenir un état de concentration et de mobilisation de l’affect.

 

Il en est de même en Franc maçonnerie, pendant nos travaux. Le temple est consacré et il est protégé de la profanation par l’isolement.

 

C’est un phénomène, une expérience, une dimension uniquement accessible à l’initié. Le rite fait le lien, et le rapport au sacré résulte de la communauté de l’espace temps, de l’espace lieu, et de l’être ensemble qui abolissent les distances et unissent les esprits.

Citation (anonyme)

« Comme dans les arts martiaux qui ne séparent pas le savoir et la force (savoir être, savoir faire), l’efficacité provient de la ritualité elle-même du savoir être qui s’intériorise dans la pratique rituelle »

 

La tenue est en soi un temps sacré, consacré par le rituel. Qui est fondé sur la conception intemporelle, stabilisée dans un éternel présent.

Car les travaux commencent à midi et se terminent à minuit.

 

Stonehenge2007_07_30.jpg

 

Stonehenge

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9 janvier 2014 4 09 /01 /janvier /2014 20:11

 

En Mai 2013, lors d'une Tenue Blanche à la Respectable Loge des Apprentis Éternels, Nayla FAROUKI, philosophe et historienne des sciences, dans sa conférence intitulée « Foi ou raison, peut-on sortir de la pensée magique ? », a opposé Postmodernisme et Lumières.

Je fais cette proposition pour illustrer cette opposition : le postmodernisme met à mal l'idée de Raison qui est au cœur de l'idéal de Lumières, raison qui vise à apporter à l'Homme la connaissance du monde, lui permet de distinguer la vérité de l'erreur, de discerner le bien et le mal, de tendre vers une vérité ultime.

 

 

Qu'est-ce que le postmodernisme ?

 

Le postmodernisme fait référence a l'art, à la philosophie.

 

Dans l'art postmoderne, les genres se combinent, il n'y a pas de différence entre culture savante et culture populaire. L'art postmoderne embrasse la complexité, la contradiction, la diversité, l'interconnexion. Il ne produit pas de sens.

 

Dans le champ de la philosophie, c'est Jean-François Lyotard avec son ouvrage « La condition postmoderne » paru en 1979, qui a popularisé le terme de postmodernisme.

 

Jacques Derrida, auteur français jugé difficile, dit comme étant peut-être le philosophe le plus important du XXe siècle, a élaboré le concept de déconstruction, dans une entreprise de redéfinition du texte et du sens. Tout concept portant en lui les germes de la déconstruction, toute signification peut se déconstruire. Derrida dans son approche postule que la langue ne renvoie qu'à elle-même, à sa propre vision du monde plutôt qu'à une réalité extérieure. En l'absence de référent absolu, un texte se prête alors à des interprétations multiples, contradictoires même. Les structures quelles qu’elles soient, philosophiques, politiques, sociales, institutionnelles, peuvent se défaire, décomposer, dé-sédimenter. Il n'y a que des contextes, sans aucun centre d'encrage absolu.

Le langage permet des significations plurielles et aménageables.

 

Pour Ludwig Wittgenstein, considéré comme un des philosophes majeurs du XXe siècle, le langage ne donne pas accès à la signification du monde, ni au sens que prend notre situation dans le monde. Il produit sur nous un ensorcellement et le rôle de la philosophie est de nous délivrer de cet ensorcellement, en nous le faisant apparaître comme ce qu'il est : un jeu. Le seul usage correct du langage est d'exprimer les faits du monde.

 

Tchouang-tseu, philosophe taoïste du IVe siècle avant notre ère apparaît dans sa dimension postmoderne avec les rapprochements qui peuvent être fait entre sa pensée et celle de Wittgenstein. Je vous livre quelques citations de son texte :

« La parole n'est pas sûre. »

« Il n'ait rien qui n'ait sa vérité. »

« Le livre n'est composé que de mots. Ce qu'il y a de précieux dans le mot, c'est l'idée. Mais l'idée relève de quelque chose qui est ineffable »

« Savoir qu'il y a des choses qu'on ne peut pas connaître, voilà le sommet du savoir. »

« Il me semble que la distinction entre la bonté et la justice, entre le bien et le mal ne souligne que le désordre. »

« La vie humaine est limitée, le savoir est illimité. »

 

En revenant à notre époque, dans le constructionnisme social tel qu'il est défini par Kenneth Gergen, psychologue américain contemporain, la réalité est quelque chose que des personnes en relation construisent à un moment donné. Elle est socialement ou interactionnellement inventée. Elle est un ensemble d'histoires racontées par un groupe d'être humains qui la construisent ensemble.

 

Il est dit que le postmodernisme s'appuie sur le constat de l'éclatement des valeurs, des repères, des modes de vivre ensemble, qu'il est une critique de la foi dans le caractère universel de la raison issu de la période des lumières, une posture existentielle affirmant que tout est légitime, aucune vérité n'étant démontrable et la réalité n'étant pas objectivable.

 

Le postmodernisme est-il une réalité ayant valeur de vérité ?

 

Si ce n'est pas le cas, l'opposition entre postmodernisme et Lumières disparaît.

 

Si c'est le cas, le postmodernisme est une réalité... postmoderne. C'est-à-dire qu'elle se construit dans un instant donné entre des individus qui participent à cette réalité.

 

C'est ici une invitation à ce que nous prenions ensemble un point de vue postmoderne et que nous regardions ce que permet ce point de vue et ce qu'il ne permet pas.

 

Il ne permet pas de récuser le point de vue de l'autre, ni d'imposer son propre point de vue, que l'autre soit une personne, une communauté d'individus ou un état. Il ne permet pas la guerre au nom d'une idée du juste ou de la nécessité de l'injuste. Il ne permet pas la suprématie ni l'asservissement au nom d'un savoir, d'une connaissance supérieure.

 

Il permet de faire cohabiter des opinions, des croyances, des convictions, des certitudes opposées. Il permet l'échange, la construction de relations nouvelles sur la base de la coopération, de règles partagées, de la reconnaissance et du développement des compétences de chacun, de la bienveillance. Il permet, selon la philosophe Isabelle ORGOGOZO, la reconstruction, au quotidien, avec des gens de tous les jours, d'une représentation ou d'une réinvention du monde, ou encore d'un réenchantement du monde. Non pas un réenchantement qui serait un retour à la pensée magique, en référence à Nayla Farouki, mais un réenchantement de la relation à autrui dans une ouverture aux différences.

 

Pour nous aider à ce changement de paradigme, il est possible de s'appuyer sur Tchouang-tseu ou de s'inspirer par exemple de la disputatio.

LIOU KIA-HWAY, un des traducteurs du Tchouang-tseu écrit dans la notice du texte :

« Ce qui divise les hommes et cause leur conflit perpétuel, c'est que chacun croit avoir raison, s'oppose à toute opinion différente, affirme et nie catégoriquement. Dépasser toute affirmation catégorique, toute négation tranchée, et apercevoir la complémentarité d'une affirmation et d'une négation donnée, voilà le salut de l'homme. »

« Nous devons réagir efficacement contre notre tendance naturelle à exagérer notre vérité, à minimiser notre erreur. »

« En remarquant l'erreur d'autrui, nous devons nous demander si, derrière cette erreur évidente, il ne possède pas, en même temps, une autre vérité, et qui appelle notre estime. En résumé, celui qui parvient à découvrir que sa propre vérité est partielle, sujette à l'erreur, et que l'erreur d'autrui implique bien souvent une vérité à beaucoup d'égards instructive, celui-là s'effacera volontairement et respectera autrui. »

« En cas de dispute, nous sommes convaincus d'avoir raison ; c'est toujours notre adversaire qui a tort. Mais en nous mettant à sa place, nous découvrons qu'il a raison et que c'est nous qui avons tord. »

 

La disputatio avait lieu à la Sorbonne il y a quelques siècles. Sur un sujet donné sous la forme d'une question, deux candidats devaient s'affronter. Un tirage au sort avait désigné celui qui devait être pour et celui qui devait être contre. Imaginons une variante actuelle, qui ferait, dans un désaccord entre deux personnes, prendre à chacun le partit de l'autre devant un auditoire, le gagnant étant le plus convainquant.

 

Il est aussi possible de s'appuyer sur tous les héritages de la pensée qui peuvent se lire comme des chemins allant vers ce changement de paradigme.

 

 

La Franc-maçonnerie s'inscrit-elle dans les Lumières ?

 

Elle le revendique, de par son l'histoire, et de par ses valeurs, tout au moins elle se revendique d'un héritage des Lumières, jusque dans l'article premier de sa constitution : « La philosophie des Lumières est, par ses principes et ses orientations, à l'origine du Grand Orient de France. »

Puisque nous nous sommes invités le temps d'une planche à partager une vision postmoderne, et puisque nous sommes Francs-maçons nous revendiquant des Lumières, nous allons partir du l'idée que Postmodernisme et Lumières se complètent et regarder en quoi ils se complètent.

 

L'ouvrage de Kenneth et Mary Gergen, « le constructionnisme social, un guide pour dialoguer » commence en ces termes et ouvre la voie :

"Une transformation spectaculaire s'opère dans le monde des idées. Partout, les traditions sont remises en question. La mise en doute des normes universelles sur la vérité, l'objectivité, la rationalité, le progrès ne cessent de s'accentuer. De nouveaux dialogues émergent cependant, de nouvelles voies s'élèvent, porteuses d'espoir et de promesses pour l'existence humaine. Ces conversations se répandent à travers les continents et les cultures et s'accompagnent d'une profusion de nouvelles pratiques professionnelles – dans les organisations, l'éducation, la thérapie, la recherche sociale, le travail social, la consultance, la résolution des conflits, la croissance des communautés, etc.

De nombreux noms sont donnés à cette révolution de la pensée et de la pratique. Les termes de post-fondamentalisme, de postempirisme, de nouveau siècle des Lumières et de postmodernisme sont souvent cités. Ils sont tous tissés sur la même toile du constructionnisme social – c'est-à-dire de la création du sens par nos activités collaboratives."

 

Sur le site de la loge « Lumières et Laïcité », dans une planche intitulée « La dérision », nous pouvons lire :

"Le chemin sur lequel nous allons, il ne mène nulle part ! il n’y a pas de destination finale, il n’y a que du voyage ! La vérité que nous cherchons, elle n’existe pas! Notre vie maçonnique est confrontée à une forme de vacuité.

Cette vacuité est illogique pour nos références occidentales, mais elle serait naturelle pour un « oriental » pour qui, réaliser la vacuité des choses, c’est réaliser que rien n’est stable et définitif, que toute chose est en état de flux dynamique, que hormis le mouvement et la transformation, il ne reste rien…

La franc-maçonnerie est un produit de l’Occident, mais elle comprend cette approche et nous permet d’appeler transmission cette transformation. Au fond, la transmission, c’est la transgression de l’acquis pour permettre la transformation.

Voilà ce qui permet de placer quand même la franc-maçonnerie dans une posture universelle.

D’après la définition de l’Académie,  la dérision s’accroche à une idée de destruction.

Au passage, je note cette tendance savante et profane à parler spontanément de destruction plutôt que de dé-construction.

La transmission est l’inculcation, à un être libre, de croyances incertaines. Elle est la raison d’être de la franc-maçonnerie. On transmet en effet ce qui, dans la tradition, est jugé digne de survivre, et ce contenu change avec le temps !"

 

Dans la loge, les points de vue différents cohabitent ! Le rituel de prise de parole donne à chacun la possibilité de s'exprimer et d'aller au terme de son expression. Il favorise l'écoute, la grande écoute silencieuse et respectueuse de l'auditoire. L'écoute favorise l'ouverture d'esprit, l'enrichissement et l'affirmation de son propre point de vue.

 

La fraternité permet de dépasser les désaccords, de créer une réalité commune qui enrobe les réalités différentes.

 

Si j'ouvre l'ouvrage de Tzvetan Todorov, « L'esprit des Lumières », écrit en 2006, je trouve :

"Les lumières absorbent et articulent les opinions qui, dans le passé, étaient en conflit, elles sont éprises d'histoire et d'éternité, de détails et d'abstraction, de nature et d'art, de liberté et d'égalité. Elles sont faites d'idées qui sortent des livres et passent dans le monde réel. Elles sont débat plutôt que consensus. Elles se fondent sur l'autonomie, la finalité humaine de nos actes et l'universalité. Elles comprennent l'entière liberté d'examiner, de questionner, de critiquer et de mettre en doute. Elles sont projet d'avenir."

 

Nous sommes passés d'une logique d'exclusion (Postmodernisme ou Lumières) à une logique de complémentarité (Lumières et Postmodernisme).

 

Wittgenstein disait : « La solution du problème que tu vois dans la vie, c’est une manière de vivre qui fasse disparaître le problème. »

Nous pouvons pratiquer des manières de penser et de vivre qui amènent la dissolution du problème de l'opposition entre postmodernisme et Lumières.

 

Ne sommes nous pas actuellement, dans ce temps d'invitation à l'héritage postmoderne, dans la recherche de la vérité, objet que l'on retrouve dans l'article premier de la constitution du Grand Orient de France ?

 

 

Quand Postmodernisme et Lumières se complètent, que deviennent les notions de vérité, réalité, raison et connaissance ?

 

La vérité devient la véracité et la recherche d'une éthique de vérité.

La véracité est la qualité d'une personne qui dit la vérité ou croit la dire, l'exactitude, la fidélité, la sincérité, l'authenticité de ce qu'elle rapporte.

La recherche d'une éthique de vérité est la quête, la mise au travail, infinie et en perpétuelle évolution de ce qu'est la vérité, pour chacun d'entre nous, mais aussi à l'intérieur de chaque communauté librement choisie ; une éthique de vérité qui élabore des modalités de partage de vérités multiples, différenciées, complémentaires, accordées, opposables ou contraires.

Peut-être à l'exemple de ce qui se joue ce soir entre nous, où je vous livre une part de moi-même en tenant compte de ce que je connais de vous, où vous écoutez avec respect, attention, silence et concentration ce que je tiens pour vrai, où certains d'entre vous vont réagir en donnant une part d'eux-même qu'ils tiennent pour vrai, que nous allons écouter avec respect, attention, silence et concentration.

Ce qui permettra à chacun de prendre la mesure de la part de l'autre, de voir apparaître ce qui nous unit et ce qui nous distingue.

 

La réalité devient ce que nous allons choisir de partager ou de ne pas partager.

 

La Raison ? Ce que nous allons construire ensemble pour nous permettre de partager des réalités différentes. Entre individus, entre communautés et entre états.

 

La connaissance ? L’immense champ de la curiosité, la matière infinie, infinie parce que dépassant la faculté de découverte individuelle, matière que nous allons mettre au service de la relation à autrui et de ce que nous avons décidé de construire ensemble.

 

A la vérité, la réalité, la raison, la connaissance, s'est invitée, sans que nous la convoquions, l'humanité, dans sa dimension d'histoire, de partage, de vision et de construction de l'avenir.

 

J'ai dit

 

wittgenstein.jpg

 

Ludwig Wittgenstein (1889 - 1951)


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